La mort de sept collaborateurs de World Central Kitchen, tués lundi 1er avril par une «frappe de Tsahal» dans la bande de Gaza, va-t-elle modifier le mode d’action des organisations humanitaires qui opèrent encore dans l’enclave palestinienne ? Depuis mi-mars, l’ONG américaine distribuait dans la bande de Gaza des centaines de tonnes de vivres (riz, pâtes, farine, légumes, protéines…), acheminés dans le territoire sous blocus par des bateaux affrétés depuis Chypre par l’ONG espagnole Open Arms. Un premier convoi y avait accosté le 15 mars. Une deuxième cargaison avait, pour sa part, été déchargée lundi.

«L’équipe se déplaçait dans une zone sans conflit à bord de deux voitures blindées portant notre logo (…), détaille ce mardi dans un communiqué l’organisation qui a annoncé la suspension de ses activités dans la région alors que les préparatifs étaient en cours pour l’envoi d’un troisième bateau. Malgré la coordination avec Tsahal, le convoi a été touché alors qu’il quittait un entrepôt où avaient été déchargées plus de 100 tonnes d’aide alimentaire amenée à Gaza par la route maritime.» Ce mardi, le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a admis qu’il s’agissait d’une frappe «non intentionnelle» de ses soldats.

Contrairement aux précédentes frappes attribuées à l’armée israéliennes ayant provoqué la mort d’humanitaires palestiniens, celle de lundi touche pour la première fois des personnels internationaux. Les victimes étaient australiennes, polonaises, britanniques, américano-canadiennes et palestiniennes.

Médecins sans frontières (MSF) qui compte 300 personnels sur place, dont six Français parmi vingt internationaux, a décidé de suspendre temporairement les mouvements de ses équipes, stationnées à Rafah, dans le sud de la Bande de Gaza. «Cet événement ne changera pas drastiquement notre façon de travailler, même si revoir la limite de nos actions est une question que nous nous posons depuis le début du conflit, précise au Figaro sa présidente pour la France, Isabelle Defourny. Cinq de nos personnels Palestiniens sont morts depuis le 7 octobre. On notifie nos déplacements aux autorités israéliennes, on coordonne nos mouvements avec elles… Mais ce n’est pas à 100% une garantie. En novembre, par exemple, une voiture identifiée et dont le mouvement avait été notifié a été visée par des tireurs israéliens, tuant un de nos employés.» Face à cette situation, «la seule chose que nous pourrions faire est d’arrêter d’envoyer des internationaux à Gaza, ou de réduire leur nombre, ce que nous avons déjà fait», ajoute-t-elle.

«Les incidents de sécurité marquent et rythment ce conflit qui est d’une violence inouïe et où il est extrêmement compliqué pour les associations d’opérer, abonde Lucile Marbeau, chargée des relations publiques du Comité international de la Croix Rouge (CICR), qui réclame à Israël des garanties de sécurité. L’espace humanitaire se réduit à peau de chagrin.» Si, assure-t-elle, le corridor maritime entre Gaza et Chypre n’avait pas vocation à se substituer aux voies terrestres, sa fermeture serait une «mauvaise nouvelle». «La situation est tragique, d’autant que l’aide de World Central Kitchen était principalement dirigée vers le nord et le centre de la bande de Gaza», indique-t-elle. Le CICR ne compte pour autant pas suspendre ses activités dans le territoire, où opèrent 130 de ses agents.

Même antienne à l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens, la plus grosse agence internationale active dans la bande de Gaza qui y compte habituellement 13.000 employés. «Nous n’allons ni changer notre façon de travailler ni quitter Gaza. Notre seule demande est qu’Israël nous donne des garanties de sécurité», affirme Juliette Touma, directrice de la communication de l’antenne onusienne, accusée par Israël d’avoir employé des Gazaouis impliqués dans les massacres du 7 octobre. Sous couvert d’anonymat, le membre d’une autre organisation affirme enfin que «le drame de lundi ne sera pas un “game changer”». Autrement dit, il ne s’agit pas d’un événement qui changera de manière significative les façons d’opérer.

Les ONG craignent toutefois que la situation humanitaire déjà catastrophique ne se détériore. Notamment dans le nord du territoire, sous contrôle israélien et coupé du monde, où vivent encore environ 300.000 personnes.

«L’insécurité atteint notre capacité opérationnelle et nous passons à côté des plus démunis. Dans certaines zones, nous ne savons pas comment les habitants survivent. Mais nous maintenons notre volonté d’aller au Nord», déclare Lucile Marbeau, qui craint une explosion des morts «indirectes» liées au manque d’assistance. «Notre plus grande crainte, ce sont les épidémies, poursuit-elle. Hygiène, malnutrition, eau non potable… Le risque est que ce cocktail explose. Ça peut encore être pire.»

Selon le Programme alimentaire mondial (Pam), plus d’1,1 million de Palestiniens «ont complètement épuisé leurs réserves alimentaires (…) et luttent contre la famine». D’après le Hamas, groupe terroriste qui contrôle le territoire, la riposte israélienne aux attentats du 7 octobre, qui ont fait 1160 morts en Israël, a tué près de 33.000 personnes dans la bande de Gaza, en majorité des civils.