La traditionnelle prise de parole annuelle de Vladimir Poutine devant le forum de Valdaï avait été soigneusement préparée. Après le discours du chef du Kremlin devant ce cénacle d’experts très lié à l’administration présidentielle russe, réuni à Sotchi, sur la mer Noire, l’un des seuls participants autorisés à poser une question a été Sergueï Karaganov, ponte moscovite des relations internationales, positionné depuis l’invasion de l’Ukraine en tête des « faucons nucléaires». «La Russie doit-elle abaisser le seuil de son utilisation de l’arme nucléaire ?», a demandé Karaganov au président russe. Une interpellation par laquelle l’expert reprenait l’une de ses marottes et qui offrait du même coup à M. Poutine l’opportunité de développer, dans son plus pur style, un discours mêlant coup de menton martial et menaces à peine voilées à l’encontre de l’Occident. La cible principale, une fois encore, du président russe.

«Avons-nous besoin de changer (de doctrine) ? Tout peut être modifié mais je n’en vois pas le besoin», a répondu Vladimir Poutine à la question téléphonée de Sergueï Karaganov. «Je ne vois personne d’un peu sensé et ayant la mémoire claire qui songerait à utiliser l’arme nucléaire contre la Russie», a poursuivi M. Poutine devant les quelque cent quarante invités, dont de nombreuses personnalités issues de BRICS, réunies à Sotchi. «Toute attaque nucléaire contre la Russie déclencherait dans la seconde la réponse de centaines de missiles nucléaires – des centaines, a-t-il répété -, à laquelle aucun ennemi ne pourrait survivre». Des déclarations appuyées par l’annonce, un peu plus tôt par le chef du Kremlin, que la Russie avait testé – sans précision de date- son missile de croisière nucléaire subsonique, le Bourevestnik (pétrel, en français), que les Russes qualifient de «sans équivalent» et doté d’une portée «illimitée».

C’était aussi le prétexte, pour Vladimir Poutine, de porter le fer sur un terrain connexe, celui des essais nucléaires et de livrer à ce propos une annonce dans le flot d’un discours qui, par ailleurs, recyclait nombre de ses saillies anti-occidentales habituelles. Le président russe a ainsi brandi une éventuelle sortie du Traité d’interdiction des essais nucléaires (TICE) de 1996, signé et ratifié par la Russie, contrairement aux États-Unis et à la Chine qui ne l’ont pas ratifié. «Je ne suis pas prêt à vous dire si nous avons réellement besoin de mener des essais ou non mais il est théoriquement possible de se comporter comme le font les États-Unis», a déclaré M. Poutine. Moscou a effectué son dernier test en 1990 ; Washington en 1992. Après la suspension de sa participation au traité de désarmement New Start, en février dernier, une reprise des essais nucléaires aurait des effets profondément déstabilisants, estiment les experts. Nombre d’entre – eux, en Occident, doutent néanmoins d’un recours par la Russie à l’arme nucléaire, tant à cause de ses effets apocalyptiques que parce que la Chine, partenaire de premier plan pour Moscou, ne le permettrait pas.

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Les déclarations de M. Poutine interviennent néanmoins dans un contexte où le spectre d’une escalade a refait surface, dans les médias tout au moins, avec les déclarations –passablement absconses -, la semaine dernière, de la patronne de Russia Today, Margarita Simonian. Celle-ci a plaidé pour l’explosion d’une bombe atomique au-dessus de la Sibérie, dans le but notamment, selon elle, montrer à l’Ouest que «la patience de la Russie est à bout».À quelques mois des élections présidentielles de mars prochain, pour lesquelles M. Poutine pourrait bientôt dévoiler, sans véritable suspense, ses intentions (en novembre, indiquait récemment le quotidien Kommersant), la menace nucléaire reste surtout pour le maître du Kremlin une arme de communication à double détente, tant pour stigmatiser les États-Unis que pour se valoriser vis-à-vis de son opinion intérieure.