La Russie ne cesse décidément de racler les fonds de tiroirs. L’armée russe aurait déterré ses vieux chars T-54, ainsi que leur version améliorée des T-55, conçus à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs experts et observateurs ont en effet fait remarqué, vidéos à l’appui, et non sans surprise, que ces ancêtres étaient acheminés en train vers l’ouest du pays depuis l’Extrême-Orient russe.
Les T-54 et T-55 figurent parmi les chars les plus produits de l’histoire militaire avec la mise en service d’environ 100.000 unités. Opérationnels dans l’armée soviétique à partir de 1948, puis dans les armées des membres du pacte de Varsovie, ils ont aussi été largement exportés par l’URSS dans les années 1950, et produits en Pologne et en Tchécoslovaquie jusqu’en 1983. Ce sont les successeurs directs de l’emblématique T-34 qui équipait l’armée soviétique pendant la Grande guerre patriotique face aux chars Panzer de l’Allemagne nazie.
«Je le surnomme le ‘survivant’ car on en trouve encore sur de nombreux théâtres de guerre, en Éthiopie, au Yémen, en Syrie», rapporte le spécialiste des blindés Marc Chassillan. Le T-54 a la particularité de résister aux outrages du temps en raison d’une grande simplicité de conception et d’utilisation. «Il y a zéro électronique à bord, tout est purement optique, c’est de la mécanique agricole des années 1950», explique Marc Chassillan. «C’est aussi un char que l’on peut manœuvrer après une journée de formation et c’est pour cette raison qu’on le retrouve dans beaucoup de mouvements de résistance ou de guérilla : c’était le tank préféré du commandant Massoud». Et le T-54 peut aussi se targuer d’une grande fiabilité due à un entretien qui ne nécessite pas beaucoup d’expertise ou de pièces de rechange.
Avec son canon rayé de 100mm, sa vitesse maximale de 51km/h et ses 36 tonnes, le T-54 est néanmoins d’une tout autre génération que les Leopard 2 ou M1 Abrams occidentaux attendus en Ukraine, et c’est le moins que l’on puisse dire. Ces derniers chars des armées de l’Otan ont été conçus pour acquérir une supériorité technique sur les T-72 et T-80 soviétiques, eux-mêmes ayant deux générations de plus que les ancestraux T-54.
Malgré leur vétusté, les T-54 pourront-ils donc avoir une utilité pour les forces russes en Ukraine ? «Face à un Leclerc, ou un M1 américain, ce serait un massacre», confirme Marc Chassillan. «Mais il peut être utilisé comme canon mobile d’appui d’infanterie, pour faire du tir indirect, ça rajoute des tubes, comme on dit». Le T-54 pourrait aussi servir, dans une perspective défensive, de sorte de blockhaus mobiles. Camouflé et enterré de façon à faire dépasser seulement la tourelle, le T-54 peut habilement défendre une position.
À lire aussiEn Ukraine, «l’autre Bakhmout» que les Russes tentent d’encercler: le récit de l’envoyée spéciale du Figaro
«Mais contrairement au M-55 slovènes, version ultra-modernisée du T-55 livrée à l’Ukraine, le T-54 est dépourvu de système de tir de nuit et de caméras thermique, ce qui est un très gros inconvénient», nuance Marc Chassillan.
Après avoir perdu au moins 1900 chars depuis le début de l’invasion de l’Ukraine selon le décompte du sérieux blog Oryx, la Russie avait déjà dépoussiéré ses emblématiques T-62 que l’on savait mis à l’écart des réserves officielles de l’armée russe. Cette fois, le grand retour du T-54 est-il le signe d’un véritable épuisement des stocks russes ? «Les pertes russes dépassent de toute façon largement la capacité de renouvellement du parc que l’on estimait à 300 chars neufs et 300 vieux chars modernisés par an avant la guerre», détaille Marc Chassillan. Et si la Russie a ouvert de nouveaux ateliers de réparations, il est difficile de connaître exactement leur capacité. Avec ses très modernes T-90M envoyés en Ukraine, le Kremlin joue en tout cas sur tous les tableaux.
Mais le secteur de la Défense se révèle incapable de mettre en branle une chaîne de production qui puisse remplacer ses chars les plus modernes par des unités à peu près équivalentes. «L’industrie russe de l’armement n’a produit aucun des très attendus T-14 Armata, mais a plutôt commencé à introduire des centaines de variantes remises à neuf ou améliorées comme des T-62 désuets ou même des T-54 des années 1950 dans un état non modifié», analyse pour sa part Oryx dans une note intitulée L’armée de papa : liste des équipements de l’armée russe déployés en Ukraine, plus anciens que nos parents.
Outre les chars de combat, on retrouve donc d’autres blindés de l’après-guerre, comme les véhicules chenillés BTR-50, dont la présence en Ukraine a récemment été attestée par les analystes. La Russie a perdu au moins 10.000 véhicules blindés en un an de guerre et ne lésine donc pas à déterrer ses appareils historiques. L’armée russe ira-t-elle jusqu’à retrouver des iconiques T-34 ou peut-être même des petits T-26 des années 1930 ? «Ces modèles ont eu, en leur temps, leur heure de gloire, mais il n’y en a plus aujourd’hui», indique Marc Chassillan. En 2019, Moscou avait réussi à récupérer une trentaine de T-34 auprès du Laos afin de les faire défiler sur la place rouge à l’occasion du 75ème anniversaire de la victoire de 1945.