L’année 2023 sera-t-elle celle du grand chamboulement pour l’armée russe ? Dès le 11 janvier, le commandement en chef des troupes présentes en Ukraine a changé de main, et été confié au chef d’État-major en personne, Valéri Guérassimov. Les premières semaines de l’année ont également été marquées par plusieurs annonces du ministère russe de la Défense. Alors qu’elle pensait mener une guerre éclair, la Russie s’est engagée dans une guerre longue, qu’elle doit désormais encaisser différemment.
La semaine dernière, le ministre Sergueï Choïgou a ainsi esquissé les contours de réformes militaires à grande échelle, qui seront menées entre 2023 et 2026. Son ministère a également annoncé quelques directives plus court-termistes, visant à améliorer sans délai le professionnalisme des forces armées, souligne le très sérieux groupe de réflexion américain Institute for the Study of War (ISW). Parmi elles, l’interdiction pour les soldats russes engagés en Ukraine d’utiliser leur téléphone portable ou un véhicule personnel et… de porter la barbe.
L’interdiction d’utiliser du matériel électronique à usage personnel dans l’armée est théoriquement déjà en place, mais rarement respectée. Avec cette mesure, le ministère de la Défense souhaite éviter une nouvelle hécatombe, après la frappe ukrainienne qui avait tué au moins 89 soldats russes (400, selon les autorités militaires ukrainiennes), au cœur des quartiers militaires temporaires de Makiïvka la nuit du Nouvel an. Immédiatement après cette attaque, le ministère l’avait opportunément imputée aux soldats russes qui avaient utilisé leur téléphone cellulaire pour souhaiter la bonne année à leurs proches.
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Ces appareils électroniques auraient permis à l’Ukraine de géolocaliser une grande concentration de soldats et de frapper avec précision. Sur le terrain, ce matériel sert cependant à piloter des drones de reconnaissance et à transmettre du renseignement. «Les tablettes et les smartphones sont essentiels à la guerre moderne, a rappelé le patron de Wagner, Evguéni Prigojine, lors d’un entretien avec un média russe. Grâce aux données récoltées, les combattants connaissent la situation générale et peuvent transmettre des informations vitales».
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Plus anecdotique, l’obligation de se raser la barbe est néanmoins révélatrice de la volonté du haut commandement russe de professionnaliser son armée. Dans sa note quotidienne datée du 16 janvier, l’ISW souligne que la question de l’hygiène sur les lignes de front a souvent été un point de friction entre les officiers et leurs hommes, ces derniers refusant souvent de se raser. Dans une interview accordée au site d’information russe RBC, relayée par Reuters, le député et ancien haut gradé Viktor Sobolev a estimé que l’interdiction de la barbe était un «aspect élémentaire de la discipline militaire». «Un soldat est vu par des civils, il doit avoir l’air exemplaire. S’il marche non soigné et mal rasé, cela ne l’honore ni en tant que personne ni en tant que soldat», a-t-il détaillé.
«Cette mesure peut paraître banale, mais le respect ou le mépris de ces normes sont un marqueur du professionnalisme des troupes conventionnelles, note l’ISW. Dans les unités peu performantes et démoralisées, le non-respect de ces normes peut alimenter la démoralisation et les mauvaises performances». Toujours d’après l’ISW, ces directives ont ainsi très bien pu être publiées «dans le but d’évaluer l’efficacité de la chaîne de commandement de l’armée russe».
Mais cette mesure a été fraîchement accueillie, jusqu’à certains proches de Vladimir Poutine. «Un soldat doit se battre.80%du temps, il se lave avec une bouteille, et se raser est généralement un grand luxe», a commenté Evguéni Prigojine, encore lui, sur sa chaîne Telegram, qualifiant ces ordres d’«absurdes» et d’«archaïsmes des années 1960». Le patron de Wagner a également souligné qu’«une partie considérable de musulmans et d’orthodoxes portent une barbe selon leurs coutumes religieuses».
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Un argument repris par le président tchétchène Ramzan Kadyrov, qui a vu dans cette directive une «provocation» à l’encontre de ses soldats, à majorité musulmans, et un acte d’islamophobie. «Sobolev sait parfaitement qui porte une barbe en première ligne et pourquoi», a-t-il écrit sur Telegram. Auprès du média russe RBC, le commandant d’une brigade des forces séparatistes du Donbass a indiqué que cette mesure n’avait en tout cas pas encore eu de répercussion sur le terrain. «Nous n’avons pas de telles restrictions en première ligne», a-t-il indiqué.
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Quoi qu’il en soit, «ces directives font probablement partie d’efforts plus profonds du ministère de la Défense russe pour mener des réformes militaires généralisées», indique l’ISW. Dans sa note du 17 janvier, le groupe de réflexion relaie en effet des annonces beaucoup plus ambitieuses, détaillées par Sergueï Choïgou en personne et émanant directement de Vladimir Poutine. D’ici 2026, la Russie pourrait ainsi instituer des «changements à grande échelle» dans la composition, l’effectif et les divisions administratives des forces armées.
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Ainsi, le ministre de la Défense a annoncé que le nombre de soldats russes devrait passer de 1,35 à 1,5 million d’hommes et que les districts militaires de Moscou et Leningrad seraient rétablis – ce qui portera à six le nombre de districts. Surtout, un nouveau corps d’armée pourrait être formé en Carélie, à la frontière finlandaise, où l’armée de ce pays du Nord est en alerte permanente. De nouveaux groupements de forces autonomes seront aussi déployés en Ukraine, selon le ministère, et la formation des troupes se verra renforcée. Pour l’heure, et à la lumière de la grande réforme inaboutie de l’armée russe engagée en 2008, rien n’indique que la Russie «sera en mesure d’appliquer ces changements d’ici trois ans», commente l’ISW.
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