Mardi 19 septembre, le Parlement espagnol a adopté une réforme permettant aux députés basques, catalans et galiciens de s’exprimer dans leur langue au sein de l’hémicycle. Fruit d’un marchandage politique, cette réforme a permis aux socialistes de prendre la tête du Congrès des députés, une première étape dans la rixe qui les oppose aux conservateurs après les élections de juillet 2023, dont les résultats n’ont permis à aucun parti d’obtenir une majorité.

Pour enfin sortir de l’impasse et présenter leur candidat Pedro Sanchez à l’investiture, et les socialistes souhaitent rallier les indépendantistes, qui ont fixé leur soutien à un prix élevé : l’amnistie de ses dirigeants poursuivis en justice depuis le référendum de 2017. Ce référendum, organisé par le gouvernement régional catalan avec l’aide d’associations indépendantistes, avait été déclaré illégal par la Cour constitutionnelle, et avait mené à l’emprisonnement ou la fuite des dirigeants séparatistes.

Pablo Simon nous explique les enjeux de cette réforme à la portée aussi bien symbolique que politique.

Pablo Simon est professeur de sciences politiques au département des sciences sociales de l’université Carlos III de Madrid. Il est spécialiste des partis, systèmes et comportement électoraux en Espagne.

Le Figaro. – D’après vous, quelles vont être les conséquences de cette réforme ? Vont-elles augmenter les tensions et attiser les velléités séparatistes ?

Pablo Simon – À mon avis, non. Il y a de nombreux pays dans le monde où des parlements multilingues existent, comme le Canada, la Belgique ou la Suisse. Ce n’est pas un phénomène inhabituel au sein d’une démocratie. Et la politique espagnole se distingue par le fait que certains de ses partis ne sont présents qu’au sein de territoires déterminés. Pour moi, cette réforme possède plusieurs dimensions. La première est sa dimension symbolique. En séance plénière, les individus qui le souhaitent pourront désormais s’exprimer dans les autres langues qui existent en Espagne, outre le castillan. D’ailleurs, c’est déjà le cas au Sénat depuis dix ans, même si peu de gens le savent, et cela ne pose aucun problème.

Dans les faits cela ne va pas réellement changer le fonctionnement du Parlement. La majorité des professions utilisent le castillan pour travailler, car c’est la langue utilisée par tous. Il faut donc s’attendre à une normalisation rapide, et de temps en temps un député s’exprimera dans une autre langue. Cela ne devrait pas provoquer une augmentation des velléités d’indépendance, au contraire les personnes qui parlent d’autres langues reçoivent le message qu’elles sont espagnoles, au même titre que celles qui parlent castillan.

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Dans quelle stratégie politique de Pedro Sanchez cette réforme s’inscrit-elle ?

Cette réforme s’inscrit dans le cadre du pacte politique nécessaire aux socialistes pour la formation du Congrès actuel. Il était fondamental pour les groupes de gauche de pouvoir compter sur le soutien des groupes indépendantistes, tant catalans que basques. Dans le cadre de ce pacte, des concessions ont été faites. L’une d’entre elles consistait à aider les indépendantistes à obtenir leur propre groupe parlementaire, ce qu’ils ne pouvaient pas obtenir seuls. Et une autre partie de ce compromis politique était de permettre l’usage des différentes langues.

D’après moi, le sujet de l’amnistie se négocie en parallèle, et ne dépend pas de la réforme des langues à l’hémicycle. Le thème de l’amnistie est davantage lié à l’investiture à venir.

On ne peut pas dire qu’ils aient accordé l’usage des autres langues afin d’éviter la question de l’amnistie. La négociation de cette dernière dépendra des évolutions politiques à venir, et pour l’instant il est impossible de savoir si une négociation est bien en cours. Il est probable que les discussions sur la question débutent la semaine prochaine, une fois la session d’investiture d’Alberto Nuñez Feijoo terminée. Car il ne parviendra pas à obtenir une majorité , donc Pedro Sanchez émergera comme le nouveau candidat et tentera à son tour de former une majorité. C’est à ce moment-là que la question de l’amnistie jouera un rôle important.

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Le parti populaire, qui va bientôt tenter l’investiture, fait face à un paradoxe. Ses dirigeants savent qu’ils ne vont pas parvenir au pouvoir, mais ils organisent tout de même ce dimanche une manifestation contre l’amnistie que semble négocier Pedro Sanchez avec les indépendantistes, alors même que Pedro Sanchez n’est pas le candidat désigné par le roi pour l’investiture. Le parti populaire est conscient de la centralité de la question de l’amnistie, dont tout le monde parle depuis bientôt deux semaines, ce qui explique l’organisation de cette manifestation dimanche.

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Hier, les ministres européens des Affaires européennes ont débattu au sujet de la reconnaissance du catalan, du basque et du galicien comme langues officielles de l’Union européenne (UE). La réforme espagnole a-t-elle eu une incidence sur ces discussions ?

Il s’agit de deux choses différentes. Le gouvernement a approuvé la réforme au Parlement dans le but d’obtenir davantage de poids pour défendre son cas à l’échelle européenne, néanmoins l’approbation d’une nouvelle langue au sein de l’UE nécessite l’unanimité parmi les 27 pays. Pour l’instant, aucun ne s’y est opposé frontalement, et tous ont demandé plus de temps. Mais les procédures diffèrent, chaque pays défend ses intérêts, certaines langues peuvent être jugées plus qualifiables que d’autres…. d’ailleurs le gouvernement espagnol a indiqué qu’il souhaitait faire passer le catalan en priorité. Cela s’explique par le fait qu’un plus grand nombre de personnes le parlent, mais aussi parce que le catalan est la langue des partis dont le gouvernement nécessite le soutien pour l’investiture.