Alors que le premier ministre Gabriel Attal est de retour en France après une visite canadienne de deux jours durant laquelle il a passé une journée dans la ville de Québec, le Festival du Livre de Paris met la littérature québécoise à l’honneur ce week-end, 25 ans après qu’elle a été conviée à l’événement pour la dernière fois. Des liens solides unissent la France à la plus grande province canadienne, mais leurs habitants respectifs ne sont pas forcément les meilleurs amis. Les habitants de l’Hexagone ont leur opinion sur ceux du Québec. Et les Québécois ne sont pas en reste pour décrire les Français.
De l’autre côté de l’Atlantique, le Français renvoie parfois l’image d’un grand frère arrogant et intolérant, qui, à cause d’une langue et d’une histoire partagées, omet l’adaptation culturelle dont il faut normalement faire preuve à l’étranger. Résultat : il se sent par moments un peu trop chez lui dans la plus grande région francophone du continent américain. Ce comportement peut jouer en sa défaveur, comme en témoignent certaines idées reçues ancrées dans les esprits québécois.
Pour le sociologue Mathieu Bock-Côté, le rapport que les Québécois entretiennent avec les Français «dépend du milieu d’appartenance». En effet, le chroniqueur du Figaro prend pour exemple le cas des nationalistes, pour qui les liens avec la France sont indispensables, surtout depuis que le général de Gaulle a «déprovincialisé» leur cause à travers sa phrase «Vive le Québec libre !» , prononcée au balcon de l’hôtel de ville de Montréal en 1967. De plus, alors qu’il était fréquent que les élites québécoises fassent une partie de leurs études en France, les destinations désormais privilégiées sont le Canada anglophone ou les États-Unis, selon Marc André Bodet. Pour ce professeur agrégé au département de science politique de l’Université Laval, à Québec, cela explique que se soit progressivement effrité le «rapport affectif» entretenu par les élites vis-à-vis de la France.
Pour autant, des tendances générales se dessinent au sein de la population québécoise. À ce titre, Mathieu Bock-Côté affirme que «la plupart des Québécois» désignent les habitants de l’Hexagone comme leurs «cousins français», avant d’indiquer qu’ils «ont un souci de la généalogie et connaissent donc la vie de leurs ancêtres» hexagonaux.
Par ailleurs, l’essayiste souverainiste souligne l’importance du rôle français en expliquant que, «pour un Québécois, la reconnaissance ultime est celle de la France». Il précise que cette tendance prime «depuis Felix Leclerc» (grand indépendantiste et pionnier de la chanson poétique québécoise, dont le succès fut consacré en France au début des années cinquante). L’influence française, même si elle ne dit pas toujours son nom, est profondément ancrée. En témoigne, selon Mathieu Bock-Côté, la loi de 2019 sur la laïcité, largement inspirée du modèle français, et que le Canada anglophone «ne comprend pas». L’admiration pour l’ancêtre outre-Atlantique ne s’arrête pas là, car les Québécois sont également «fascinés» par le pays pour son art de vivre.
Pourtant, la population québécoise n’hésite pas à railler les Français pour «leur utilisation abusive des anglicismes». «Les Québécois ont honte des anglicismes», expliquait récemment le linguiste canadien André Thibault dans les colonnes du Figaro . Pour lui, «parler français est non seulement une fierté, mais un acte de résistance» face à la pression de l’anglophonie.
C’est ici qu’intervient une part moins heureuse de l’opinion que les Québécois ont au sujet des Français : les habitants de la grande province craignent d’être «snobés» ou «méprisés», selon Mathieu Bock-Côté. Pour lui, les Québécois éprouvent un «sentiment d’infériorité» qui est «lié à leur histoire» et ont l’impression d’être considérés par la population française comme des individus qui parlent «un français moins bon». De surcroît, le fait qu’ils se soient sentis «abandonnés» par la France à plusieurs reprises tout en étant «encerclés» par des anglophones forge aussi ce sentiment. Effectivement, Paris, anciennement tourné vers ses partenaires francophones, a «délaissé» des entités comme le Québec pour «se centrer sur l’intégration européenne», analyse Marc André Bodet.
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Cette logique a également conduit l’Élysée à traiter directement avec le gouvernement fédéral canadien, principalement sous les quinquennats de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande, ce qui a induit une normalisation des rapports France-Québec. Selon le spécialiste de la politique québécoise et canadienne, l’attache «n’est plus tant linguistique qu’instrumentale».
Malgré ces quelques opinions négatives, le lien avec la France est «fondamentalement positif», conclut Mathieu Bock-Côté, avant de préciser que la désignation populaire «maudits Français» est moins utilisée qu’«au temps de nos grands-mères». Il faut dire que l’arrivée massive de jeunes tournés vers l’international et de moins en moins empreints des us et coutumes français tend à rendre les vieux clichés sur la population hexagonale assez obsolètes. Enfin, le rôle central que jouent les Français immigrés au Québec a été substantiellement réduit par la diversification de l’immigration accueillie par la province de Montréal.