L’entre-deux-offensives tourne à la défaveur de Kiev. Après l’échec de l’année dernière, les soldats ukrainiens se sont repliés sur leurs positions défensives. Face à eux, l’armée russe exerce une pression continue pour grignoter les lignes adverses. Des combats intenses se déroulent notamment autour de Tchassiv Yar, à quelques kilomètres seulement de Bakhmout, un point clé à l’ouest du Donbass. Sans percée décisive pour l’instant. L’extrême létalité des combats, due à la transparence accrue du champ de bataille et à la précision des tirs, rend toute attaque laborieuse et coûteuse en vies humaines. Mais cet état de fait qui ralentit la guerre devient chaque jour plus précaire. L’hypothèse d’une défaite ukrainienne est de nouveau sur la table, deux ans après le début de la guerre.
«Si le Congrès n’aide pas l’Ukraine, l’Ukraine perdra la guerre», a déclaré cette semaine le président Volodymyr Zelensky à CNN, en s’alarmant du blocage de la dernière tranche d’aide par le camp de Donald Trump. Il n’est pas le seul à s’inquiéter. L’Ukraine «dépend presque entièrement du soutien extérieur pour rester dans la bataille», a prévenu mercredi le commandant allié suprême en Europe, le général Christopher Cavoli. «On ne saurait trop insister sur la gravité de ce moment: si nous ne continuons pas à soutenir l’Ukraine, celle-ci pourrait perdre», a-t-il repris. Pour l’instant, le rapport de force d’artillerie serait de un à cinq. Mais il pourrait passer de un à dix. «Ce n’est qu’une question de semaines», a-t-il prévenu.
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«Je ne peux pas prédire le futur mais je peux faire un simple calcul mathématique. Lorsque je regarde le rythme d’approvisionnement, lorsque je regarde le niveau de consommation, si nous ne continuons pas à soutenir l’Ukraine, l’Ukraine sera à court d’obus d’artillerie et à court de moyens de défense aérienne dans un délai assez court», a-t-il expliqué avant de conclure benoîtement: «D’après mon expérience de plus de trente-sept ans au sein de l’armée américaine, si un camp tire et que l’autre camp ne peut pas riposter, celui qui ne riposte pas perd.»
CQFD? «Le propre de l’action militaire est d’échapper aux calculs. Si ce n’était qu’une question de rapport de force immédiat, il serait inutile de se battre», confiait il y a quelques semaines le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Schill. «Jusqu’à présent, les Ukrainiens se sont montrés forts. Être en défense est un avantage», ajoutait-il. Mais des signaux inquiétants reviennent du front: l’aviation russe semble avoir retrouvé des capacités d’action. Faute de défense aérienne suffisante côté ukrainien, les chasseurs russes peuvent bombarder leur adversaire grâce notamment à des bombes planantes qui étendent leur portée. En parallèle, des salves de missiles et de drones continuent de s’abattre sur le pays. Dans la nuit de mercredi à jeudi, la Russie a tiré plus de 40 missiles et 40 drones contre des infrastructures énergétiques ukrainiennes. «La principale tâche est de faire tous les efforts pour renforcer notre système de défense aérien», a lancé le président Zelensky en arrivant jeudi en Lituanie pour signer un accord de défense.
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«Les Ukrainiens nous disent: “Aidez nous à tenir en 2024 et en 2025 nous pourrons relancer une offensive”», raconte un responsable français qui s’est récemment entretenu avec les autorités ukrainiennes. Celles-ci lorgnent notamment le système sol-air moyenne portée terrestre (SAMPT) que la France a déployé en Roumanie pour défendre l’espace aérien allié. «Plus que du système, ce sont de missiles dont ils ont besoin», complète-t-on. Malgré la pression du gouvernement, le missilier MBDA ne sera pas en mesure de fournir plus d’Aster 30 à court terme, alors que l’armée française en a besoin pour ses propres missions.
Pour tenir, l’Ukraine doit revoir ses modes d’opération. Elle ferait mieux de «s’attaquer à des cibles tactiques et opérationnelles susceptibles d’influencer directement le combat en cours» plutôt que de bombarder les infrastructures énergétiques russes, a suggéré le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, mercredi. Pour affaiblir son adversaire, l’Ukraine cible depuis plusieurs semaines des sites stratégiques. Plus d’une dizaine de raffineries ont été touchées. Mais, pour Washington, ces opérations seraient sans effet sur la guerre et menaceraient l’ensemble du marché énergétique.
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Malheureusement, le problème n’est pas que matériel. «Nous manquons d’hommes», s’est inquiété jeudi à Kiev le général Yuriy Sodol, qui commande les forces ukrainiennes dans l’est du pays. «L’ennemi est sept à dix fois plus nombreux que nous», a-t-il prévenu. Même moins bien formés et moins motivés, les soldats sont plus jeunes que les soldats ukrainiens, dont la moyenne d’âge affleure les 40 ans.
«Le premier qui mobilisera l’emportera», pense une source militaire française. Mais les deux camps hésitent à franchir le pas. En Ukraine, la société donne des signes de fatigue envers une guerre qui semble sans issue, même si son enjeu est vital. En Russie, le régime du Kremlin préférerait éviter une décision impopulaire qui pourrait réveiller des oppositions internes.