À Rome,
Les élections régionales en Sardaigne devaient être le théâtre d’une nouvelle victoire de la droite au pouvoir, un nouveau trophée pour Giorgia Meloni réputée imbattable, et qui avait imposé à son allié Matteo Salvini le choix du candidat de la droite, le maire Fratelli d’Italia de Cagliari, Paolo Truzzu. Voilà qu’à la surprise générale, la candidate Cinq étoiles, Alessandra Todde, 54 ans, soutenue par le PD mais pas par les centristes qui avaient présenté leur candidat, l’a emporté sur le fil du rasoir, avec 45,4% des votes. Ce premier test électoral d’une longue série fait figure d’alerte pour la présidente du conseil qui avait cru bon de faire de ce scrutin un référendum sur sa personne, en s’imposant sur toutes les affiches de Sardaigne.
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Même si à y regarder de près, la défaite peut être relativisée. Car ce scrutin régional à un tour donne la victoire au candidat qui remporte le plus de voix sur son nom, même si les listes de conseillers régionaux qui le soutiennent sont minoritaires. Ce qui est le cas présent, les listes de la coalition de centre droit ayant remporté 49% des voix selon les estimations provisoires, contre 42,7% pour les listes du centre-gauche. C’est donc d’abord la nature du scrutin qui a permis, avec près de 1000 voix d’avance, la victoire de Alessandra Todde.
Ensuite, il s’agit d’abord et surtout d’un vote local, plutôt qu’une protestation dans les urnes contre la politique du gouvernement. Et donc, davantage d’un vote contre le candidat de la droite Paolo Truzzu, maire de Cagliari depuis quatre ans. Alors que la ville est envahie de chantiers qui congestionnent les flux de trafic, et dont l’achèvement est sans cesse repoussé, ses habitants sont très remontés contre la gestion du maire. Lequel a cru bon de se faire tatouer d’un «Trux» sur son bras, croisement entre son nom de famille et DUX, surnom du Duce, et de l’exhiber. Toutes les enquêtes sur la popularité des maires indiquent qu’il est l’un des moins populaires d’Italie.
Mais Giorgia Meloni ne voulait pas que le candidat sortant, Christian Molinas – soutenu par la Ligue de Salvini -, se représente, afin de rééquilibrer les régions en faveur de son parti Fratelli d’Italia, et de refléter, disait-elle, les nuances politiques de la majorité. « Giorgia Meloni a un problème, celui de recruter la classe dirigeante, commente le politologue Salvatore Vassallo, directeur de l’Institut Cattaneo. Mais cette disparité n’est pas nouvelle pour le centre-droit en Sardaigne. Fratelli d’Italia a une fois de plus démontré qu’il n’avait pas de classe dirigeante à la hauteur, et ne savait pas choisir ses candidats ». En tout cas, vengeance ou pas, les électeurs de la Ligue ne se sont pas mobilisés pour l’élire.
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Quant à la gestion de la région elle-même, sous la direction du gouverneur sortant Christian Salinas, un indépendantiste sarde proche de la Ligue, elle est elle aussi extrêmement critiquée. Si Salinas lui-même est impliqué dans deux enquêtes préliminaires du parquet de Cagliari pour abus de pouvoir et pour corruption, et a vu ses biens, ainsi que ceux de six autres suspects, être saisis pour une valeur globale de 350.000 euros, il est surtout très critiqué pour avoir laissé à l’abandon les infrastructures de transport et les services de santé de l’ile. La Sardaigne, qui ne vit plus que de tourisme et ce, deux mois par an, souffre d’un exode de ses jeunes et de la natalité la plus faible d’Italie (taux de 1,1 enfant par femme), la région ayant deux fois plus de morts que de naissances.
Aussi est-ce précisément sur ces thèmes locaux du travail, de la santé et de la lutte contre la précarité, mais aussi en se revendiquant antifasciste, que la candidate de la gauche a fait campagne, et non sur la politique nationale. Alessandra Todde n’a d’ailleurs pas voulu que les leaders du parti démocrate et du M5S viennent la soutenir durant sa campagne. Peu connue des Sardes eux-mêmes avant son élection, cette Sarde de Nuoro, née en 1969, diplômée en informatique, a travaillé à l’étranger, à Boston, aux Pays-Bas, en Espagne et en Angleterre, en partie dans le domaine de l’énergie, en partie dans le secteur de la technologie. Elle était revenue dans son pays natal il y a tout juste dix ans.
Alessandra Todde a été vice-ministre du développement au ministère des entreprises dans le gouvernement Conte II, puis dans celui de Mario Draghi. Entrée très tôt dans le Mouvement Cinq étoiles, elle s’est ralliée à son chef Giuseppe Conte. Ce sont plus particulièrement les grandes villes de Sardaigne – Cagliari, Sassari, Quartu Sant’Elena et dans sa ville Nuoro, qui l’ont élue avec une large majorité première femme sarde à la présidence de la région.
Si le vote est local, sa répercussion est d’ores et déjà nationale. À gauche d’abord, où au parti démocrate (PD), la stratégie d’alliance d’Elly Schlein avec le M5S était fortement mise en question, celle-ci en sort renforcée. De fait, sa stratégie d’’unité ouvre une nouvelle voie pour arracher d’autres régions à la droite dans les prochaines semaines : à commencer par les Abruzzes le 10 mars, où toute la gauche, y compris le centre, est unie derrière un candidat d’une liste civique, Luciano D’Amico. Puis dans la foulée, la Basilicate, l’Ombrie et le Piémont. Même si la stratégie électorale gagnante ne présage rien de la capacité des frères ennemis de l’opposition de centre gauche, PD et M5S, à se mettre d’accord sur un programme commun pour gouverner ensemble.
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Pour la droite surtout, si le scrutin ne change a priori rien à la stabilité du gouvernement à Rome, le poison du doute et de la division a commencé à agir. Alors que Giorgia Meloni a imposé à ses alliés un fort mauvais cheval sur la base d’une erreur d’analyse, ceux-ci voudront se faire entendre. À commencer par le leader de la Ligue Matteo Salvini, qui, si son parti a fait un très mauvais score en Sardaigne, va revenir à la charge pour permettre au gouverneur du Vénétie, le très populaire Luca Zaia, grande figure de la Ligue du nord, de se représenter pour un troisième mandat contre les tentatives de Giorgia Meloni d’arracher la Vénétie à la Ligue. Cela suppose toutefois de modifier la loi qui limite l’élection des gouverneurs comme des maires à deux mandats successifs.
L’atmosphère a changé : Giorgia Meloni n’est plus invincible. Au moins jusqu’aux Européennes du 8 juin, qui met les partis en compétition, la guerre d’usure entre Fratelli d’Italia et la Ligue promet de durer.