L’ancien cuisinier de Vladimir Poutine, aujourd’hui à la tête du groupe Wagner et protagoniste de la guerre en Ukraine, a-t-il lancé une tentative de coup d’État en Russie ? «Prêt à mourir», Evguéni Prigojine affirme ce samedi être entré en Russie avec ses «25.000 hommes» pour «libérer le peuple russe». «Nous détruirons tout ce qui sera mis sur notre route.» «On continue, on ira jusqu’au bout», a lancé le chef milicien en menaçant de marcher sur Moscou si le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, et le général Valéri Guérassimov, chef d’état-major des Armées, ne viennent pas le rencontrer.

Quelques heures après cet événement aux conséquences incertaines, Le Figaro vous propose de découvrir les premières réactions d’experts de la Russie.

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«À la longue liste des échecs du Kremlin, il convient donc d’ajouter la gestion du « cas Prigojine »», a écrit sur Twitter Arnaud Dubien, le directeur de l’Observatoire franco-russe. «Prigojine jouait un jeu dangereux. Pas sûr qu’il puisse faire machine arrière et qu’on le laisse rentrer dans le rang après les événements – troubles au demeurant – de ce soir. Nuits des longs couteaux pour Wagner ?», décrypte l’analyste qui évoque «l’exécution politique de Prigojine», mais pose quand même la question de possibles «négociations en cours».

«Puisque Poutine s’oppose frontalement à Wagner et que Wagner persiste, on peut estimer qu’il s’agit d’une tentative de renversement du pouvoir», a analysé à chaud sur Twitter le chercheur de l’IFRI Dmitri Minic, spécialiste de l’armée russe. «Et dire que Wagner avait été conçue pour subvertir des États étrangers», remarque l’auteur d’un livre remarqué, Pensée et culture stratégiques russes, du contournement de la lutte armée à la guerre en Ukraine.

«La rivalité de Prigojine (avec l’armée russe) a fait qu’il s’est enfermé. Son pari me semble être un acte désespéré, bien que tout dépendra du fait que Prigojine agisse seul ou que d’autres personnes importantes se joignent à lui, écrit sur Twitter l’analyste militaire américain Michael Kofman, directeur du programme d’études russes au Center for Naval Analysis et membre du Center for a New American Security. Je suis sceptique sur le fait ça finisse bien pour lui ou Wagner (…) Les services de sécurité russes prennent clairement la menace de Prigojine au sérieux. J’attendrais de voir si Wagner se mobilise, se déploie, et si quelqu’un d’important se joint à lui. Le week-end promet d’être intéressant».

«Nous pourrions très bien voir Moscou conclure un accord avec Prigojine – peut-être lui donner plus de pouvoir et voir comment la guerre est menée -. Ils ne veulent clairement pas le combattre, il a maintenant fait valoir son point de vue et a également réduit l’agressivité de son ton», suggère Dmitri Alperovitch, président du «Silverado Policy Accelerator», un groupe de réflexion géopolitique à Washington. «Il existe un précédent dans la Russie moderne. Kadyrov (et son père) étaient à l’origine du côté des rebelles pendant la Seconde guerre tchétchène (et avaient tué beaucoup de soldats russes), mais ont ensuite été convaincus de changer de camp et tout a été pardonné», raconte l’analyste américain né à Moscou.

«La menace de Prigojine d’emmener ses 25.000 hommes en marche (vers Moscou ?) pour demander des comptes au ministère de la Défense est difficile à mettre en œuvre sans le soutien de l’armée russe et éventuellement des services de sécurité. Cela ressemble donc plus à une menace rhétorique ou à un plan réel. S’il y a une mutinerie plus large dans l’armée russe, ses chances pourraient s’améliorer», analyse sur Twitter Sergey Radchenko, professeur à la Johns Hopkins School of Advanced International Studies.

«Il sera intéressant de voir comment ce développement affectera la contre-offensive ukrainienne. On le verra assez tôt, sans doute. Poutine aura du mal à rester imperturbable, dans les nuages. Ces derniers jours, il s’est rangé du côté du ministère de la Défense. Mais ne vous y trompez pas : la Russie pourrait sombrer dans une guerre civile pure et simple. La probabilité d’un coup d’État militaire a également augmenté. Nous n’avons pas vu un tel moment depuis 1991», met en garde l’historien spécialiste de la Guerre froide, qui nuance néanmoins : «Mais nous ne sommes pas en 1991. Certes, le système est pourri, mais la capacité interne de violence est loin d’être épuisée». L’universitaire identifie en prime plusieurs sujets d’inquiétude pour les Occidentaux : «la sécurité et la prolifération des armes nucléaires russes et des armes chimiques et biologiques ; l’instabilité régionale et les possibles effets d’entraînement (en particulier dans le Caucase) ; les flux de réfugiés».