La bataille autour de l’avortement n’en finit pas d’enflammer les États-Unis. Après une première victoire des conservateurs en 2022, qui a laissé le sort de ce droit aux mains de chaque État, c’est la question de la mise en vente de la mifépristone, une pilule qui interrompt la grossesse par voie médicamenteuse, qui est étudiée vendredi 24 février. L’unique juge fédéral du Texas, Matthew Kacsmaryk, nommé en 2019 par Donald Trump, doit statuer sur l’autorisation ou non de sa mise en vente dans les pharmacies américaines.
Autorisé depuis 2000 aux États-Unis, ce médicament, en complément du misoprosol, vise à éliminer l’embryon. Cette pilule est prise jusqu’à la fin de la 7e semaine de grossesse. Passé ce délai, c’est l’avortement instrumental qui est pratiqué, par absorption du fœtus. Aujourd’hui, il est accusé par l’association conservatrice Alliance Defending Freedom de mettre en danger la santé des femmes qui l’utilisent. En novembre dernier, l’association avait porté plainte auprès de Matthew Kacsmaryk, juge fédéral à Amarillo au Texas, contre la Food and Drug Administration (FDA), l’institution chargée de la mise en vente de la mifépristone sur le territoire américain.
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Pour Nicole Bacharan, politologue spécialiste de la société américaine, «ces accusations sont totalement infondées et correspondent à une véritable guerre qui se joue aujourd’hui contre l’avortement aux États-Unis». En 2022, au plus fort des débats sur l’avortement dans le pays, les juges de la Cour Suprême avaient révoqué l’arrêt Roe vs Wade sur la question de l’IVG, jusqu’ici étudié à un niveau fédéral – l’ensemble du pays. Les débats sur l’IVG sont depuis relégués à un rang étatique. Chaque État peut donc décider de sa législation en la matière.
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L’avenir de cette pilule abortive sera cette fois tranché à un niveau national par le truchement du motif invoqué par l’association : en novembre dernier, Alliance Defending Freedom avait porté plainte pour un motif sanitaire (et non la remise en question de l’avortement), ce qui relève de la législation nationale. Dans leur plainte, il est précisé : «La FDA a trahi les femmes et les filles quand elle a choisi la politique plutôt que la science et approuvé l’usage d’un produit chimique pour avorter aux États-Unis.» Concrètement, «un simple juge fédéral du Texas (…) pourrait émettre un interdit national sur la pilule abortive, les effets seraient évidemment dévastateurs», a de son côté réagi Jenny Ma, juriste au sein du Center for reproductive rights.
Pour Pauline Diaz, spécialiste des droits sexuels et reproductifs, la question qui se pose est de savoir «comment ces associations vont contraindre au maximum l’avortement». «C’est un véritable jeu de pouvoir, et l’idée est de mettre encore des bâtons dans les roues à l’avortement en faisant croire que les pilules abortives sont dangereuses».
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Dans l’affaire, un point semble pour autant faire obstacle. «Il est très difficile juridiquement de porter plainte contre la FDA, détaille Nicole Bacharan. Cela implique de remettre en cause une autorisation qui n’a pas débordé du cadre de la loi sur l’avortement votée par le Congrès. De plus, cette autorisation date de 2000 et a fait suite à des années de tests et d’expériences avant et après sa mise sur le marché. Sa remise en cause est donc absurde mais le juge Matthew Kacsmaryk n’a pas rejeté la plainte ce qui fait craindre la position idéologique de ce dernier.»
La pilule abortive représente plus de la moitié des avortements aux États-Unis. Si son interdiction a d’importantes conséquences pour les Américaines, il faut néanmoins rappeler qu’elle ne supprimerait pas intégralement la méthode médicamenteuse car la décision ne concernerait que la mifépristone. La deuxième pilule utilisée dans le traitement, le misoprosol, peut permettre à lui seul d’éliminer l’embryon.
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Mais l’avortement par l’utilisation unique de ce second médicament est plus long et douloureux. «Au lieu d’utiliser un cachet de mifépristone puis quatre de misoprosol, il faudrait désormais avaler douze cachets de misoprosol, qui peuvent provoquer des effets secondaires comme des nausées, explique Pauline Diaz. On revient tout simplement aux anciennes méthodes, et cela met constamment des bâtons dans les roues aux avancées de la médecine pour rendre plus supportable et efficace l’avortement».
Si le verdict rendu par Matthew Kacsmaryk va dans le sens de l’association, l’affaire sera ensuite remise à la Cour d’appel fédérale de la Nouvelle-Orléans, elle aussi connue pour son conservatisme. Il s’agit du tribunal fédéral de niveau intermédiaire aux États-Unis. Il traite de tous les appels interjetés par ces juges de district. Il en existe treize aux États-Unis. En dernier recours, la plainte peut être envoyée à la Cour Suprême.