Le choix des Argentins est clair : ils ont infligé une défaite cinglante à Sergio Massa le candidat péroniste à la présidentielle de ce dimanche 19 novembre en accordant 56% des voix à son adversaire libertarien Javier Milei. Sergio Massa était ministre de l’Économie du gouvernement kirchnériste, du nom de l’ex-présidente Cristina Kirchner, une branche du péronisme. Javier Milei succédera le 10 décembre prochain à Alberto Fernandez. Le bilan économique de ce gouvernement était particulièrement catastrophique : 140% d’inflation, 50% de taux de pauvreté, une croissance en berne, des réserves de la banque centrale au plus bas, un déficit abyssal du budget de l’État.

« Aujourd’hui commence la reconstruction de l’Argentine, a clamé Javier Milei devant des partisans aux anges. Aujourd’hui commence la fin de la décadence. Le modèle appauvrissant de l’État omniprésent est fini. Aujourd’hui nous embrassons les idées de libertés, celles de nos pères fondateurs ». Il a averti qu’il sera très dur avec ceux qui «résisteront par la violence » aux réformes qu’il propose et il n’y a aura pas de « demi-mesures ni de tiédeur ». Le nouveau président argentin a annoncé qu’il voulait aller vite pour sortir le pays de la crise. « Si nous n’appliquons pas rapidement les changements structurels dont l’Argentine a besoin, nous aurons la pire crise de l’histoire. Nous allons embrasser les idées de liberté pour redevenir une puissance mondiale. »

Javier Milei, 53 ans, a surgi dans la vie politique il y a deux ans en devenant député de Buenos Aires. Il avait auparavant fait une carrière d’économiste, souvent invité sur les plateaux de télévision et apprécié pour ses outrances et ses colères devant les caméras. « Je suis le lion, je suis le roi » clame-t-il souvent lors de ses meetings. Son arrivée en politique a été appuyée par… Sergio Massa lui-même dont l’entourage a financé son parti La liberté avance. L’objectif de Massa était de gêner la candidature de Patricia Bullrich du parti de droite de l’ancien président Mauricio Macri. Celle-ci est arrivée troisième au premier tour. Sergio Massa espérait que l’exubérance et les provocations de Javier Milei empêcheraient Mauricio Macri d’appuyer le candidat libertarien. Mais sa manœuvre s’est retournée contre lui. Dès le soir du premier tour, Patricia Bullrich et Mauricio Macri ont apporté leur soutien à Javier Milei, rendant possible la victoire de celui qui était considéré comme un candidat peu crédible et marginal il y a encore quelques mois.

Le programme de choc de Javier Milei repose sur la réduction des domaines d’intervention de l’État et la privatisation des entreprises publiques. Pour ce faire, il a promis de supprimer le ministère de la Santé, le ministère de l’Éducation, des Affaires sociales et celui du Droit des femmes. Il veut que le secteur privé prenne en charge la santé et l’éducation, et supprimer les aides sociales pour rétablir les comptes de l’État. Sa mesure phare est de « détruire à la tronçonneuse » la banque centrale, abandonner le peso argentin et dollariser l’économie pour lutter contre l’inflation. Il a promis également de revenir sur la loi autorisant l’avortement adopté en 2020. Plus généralement, il veut en finir avec la « caste des corrompus », dans laquelle il regroupe les hommes politiques et les journalistes.

Son gouvernement sera-t-il assez puissant pour appliquer ces remèdes de chocs ? Au parlement il ne dispose que de 38 députés sur 350. Pour obtenir une majorité, il devra compter sur l’appui des 94 députés fidèles à Mauricio Macri et des péronistes de droite héritiers de l’ancien président Carlos Menem, décédé en 2021. Sa force réside dans l’ampleur de sa victoire : il l’a emporté dans 21 des 24 districts électoraux du pays. Il a obtenu 3 millions de voix de plus que Sergio Massa. Son électorat se recrute dans les classes populaires et moyennes et surtout chez les jeunes qui n’ont connu que le kirchnérisme.

Il a aussi l’appui des forces armées qui ont voté massivement pour lui. Le capitaine de corvette Jorge Eduardo Acosta lui a apporté son soutien depuis sa prison où il est enfermé après une condamnation pour des crimes commis pendant la dictature. Javier Milei a, durant toute sa campagne, minimisé les crimes de la dictature, les qualifiant de simples « excès ». Il estime que le chiffre de 30.000 disparus entre 1976 et 1983 avancé par les défenseurs de droits de l’Homme « est une excuse pour continuer à voler ».

Sa candidate à la vice-présidente, Victoria Villarruel est une fille et une nièce de militaire. Dimanche, elle a été accueillie dans son bureau de vote par un groupe de défenseurs des Droits de l’Homme venus dénoncer sa défense de la dictature. En guise de réponse elle a déclaré dans la soirée : « c’est la première fois que la fille d’un vétéran de la guerre des Malouines (contre l’Angleterre de Margareth Thatcher en 1982, NDLR) devient vice-présidente. Je ne sais pourquoi cela les gêne alors qu’ils ont appuyé des enfants de terroristes au gouvernement ». Les résistants à la dictature étaient qualifiés de terroristes par le gouvernement militaire.

Victoria Villarruel a fait de nombreuses déclarations pour réhabiliter le régime des généraux qui a dirigé le pays de 1976 à 1983. Elle veut supprimer le musée consacré aux horreurs de ce régime installé à l’Esma (École supérieure de la marine argentine), au centre de Buenos Aires. Il s’agit de l’un des principaux centres de torture de l’époque. Elle estime qu’il faut rendre les 17 hectares de ce lieu à la population en le transformant en jardin de promenade plutôt que de rendre hommage aux victimes de la dictature. L’Esma comprenait une maternité ou les militaires faisaient accoucher les femmes violées par leurs tortionnaires avant de les faire disparaître et de confier les enfants à des familles proches de la dictature.