Correspondant à Moscou
Il fait peu de doute que la visite surprise de Joe Biden à Kiev aura pour conséquence de renforcer la rhétorique anti-occidentale du «discours à la nation» que Vladimir Poutine doit adresser mardi au Parlement russe. «Pour le Kremlin, il s’agit d’une preuve supplémentaire que les États-Unis ont définitivement misé sur la défaite stratégique de la Russie dans cette guerre, et que la guerre elle-même s’est irrévocablement transformée en une guerre entre la Russie et l’Occident», explique la politologue Tatiana Stanovaya, directrice de la revue R.Politik. «On s’attendait à ce que le message de Poutine soit très belliqueux, visant à une rupture démonstrative avec l’Occident. Il pourrait maintenant être modifié pour le rendre encore plus dur», estime cette spécialiste.
À Moscou en tout cas, on s’efforçait de désamorcer l’effet de surprise provoqué par le voyage en Ukraine de M. Biden. L’ex-président Dmitri Medvedev, actuellement numéro deux du Conseil de sécurité russe, a confirmé l’information fournie par la Maison-Blanche selon laquelle des «garanties de sécurité» avaient préalablement été demandées à la Russie. C’est d’ailleurs seulement «après avoir reçu (ces) garanties de sécurité que Biden s’est enfin rendu à Kiev», a déclaré Dmitri Medvedev, sans préciser qui avait fourni ces garanties au chef de l’État américain, et de quelles mesures il s’est agi. L’ex-président russe a ensuite poursuivi sur le mode débridé dont il est désormais coutumier en disant que Joe Biden «a promis beaucoup d’armes et a prêté serment au régime néonazi, en lui promettant sa fidélité éternelle»…
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La visite impromptue de Joe Biden à Kiev aura également fait tourner en toupie un certain nombre de blogueurs militaires russes ergotant sur le «courage» du chef de la Maison-Blanche pour entreprendre ce voyage. Celui-ci a été «conditionné par le fait que personne n’allait lui tirer dessus, tout comme sur Zelensky» écrit ainsi Boris Rojin, présenté comme «expert du Centre de journalisme politique et militaire», sur Telegram.
«Biden ne s’est pas rendu à Kiev parce qu’il est courageux», affirme quant à lui l’analyste pro-Kremlin Sergueï Markov sur son compte Telegram. Le président américain était «persuadé que l’armée russe ne bombarderait pas Kiev pendant qu’il est là, écrit-il. En revanche, si Poutine se rend un jour à Donetsk, les “terroristes” de Kiev essaieront certainement de le tuer de multiples façons». Et de conclure, sommairement, que «par conséquent, la visite de Biden à Kiev confirme que la Russie a raison et qu’elle est du côté du bien contre le mal», d’après Sergueï Markov.
Vu de Moscou, l’événement constitue une preuve supplémentaire de la volonté américaine d’«abattre» la Russie – un argument au cœur du narratif officiel développé par Vladimir Poutine et le chef de la diplomatie, Sergueï Lavrov. La visite de Biden «doit être vue en termes symboliques, c’est une politique de communication qui est plus importante que la réalité elle-même», tempère quelque peu Denis Denisov, expert à l’université financière gouvernementale de la Fédération de Russie. «Cela démontre une fois de plus que personne ne va mettre fin au conflit et qu’il n’y a pas de conditions préalables à des négociations sérieuses», ajoute l’expert. Selon lui, «la fourniture d’armements va se poursuivre et la rencontre entre Biden et Zelensky conduira à une nouvelle intensification des actions militaires».
Reste à savoir comment se positionnera la Chine dans cette nouvelle phase d’escalade. En effet, tandis que Joe Biden quittait Kiev pour Varsovie, le chef de la diplomatie de Pékin, Wang Yi, arrivait à Moscou, en pleine passe d’armes avec les États-Unis. La Chine a été accusée par le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, d’avoir le projet de fournir des armes à Moscou. Des déclarations qualifiées de «fausses» lundi par Wang Wenbin, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères.
Pour Moscou, les enjeux de cette visite sont au moins aussi importants, sinon davantage, que celle de M. Biden à Kiev. La Russie, qui mise à fond sur son grand voisin oriental, notamment pour réorienter ses exportations hydrocarbures, a convié le numéro un chinois Xi Jinping à se rendre à Moscou au printemps. Mais celui-ci traînerait les pieds – tant il est vrai qu’à Pékin – comme d’ailleurs à New Delhi -, on n’est pas prêt à sacrifier davantage la croissance mondiale sur l’autel du conflit à hauts risques mené par l’allié russe en Ukraine.
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