Emmanuel Macron a préféré prendre son temps. Une semaine après le président américain Joe Biden, le chef de l’État est arrivé ce mardi 24 octobre à Tel-Aviv (Israël) pour y rencontrer le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Avant de se rendre à Ramallah, en Cisjordanie, pour une rencontre avec Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne.
La visite du président intervient plus de deux semaines après la salve d’attaques du Hamas contre le pays hébreu, qui ont fait plus de 1400 morts, dont 30 ressortissants français. Lors de ce déplacement qui s’achèvera mercredi, Emmanuel Macron doit évoquer la «sécurité d’Israël», la «lutte contre les groupes terroristes», la non-escalade du conflit et la reprise d’un «processus politique» vers une solution à deux États. Du général de Gaulle à Emmanuel Macron, les présidents français ont tenté, un à un, de défendre la paix au Proche-Orient.
Avant la toute première visite d’un chef d’État français en Israël, comment ne pas évoquer la réception à l’Élysée du fondateur d’Israël Ben Gourion par le père de la Vème République ? Le général de Gaulle, qui ne s’est jamais rendu en Israël, exprime alors «l’admiration, l’affection et la confiance» de la France envers l’État hébreu.
Mais la politique étrangère française, pro-israélienne depuis 1948, prend un tournant dans les années 1960, notamment avec la déclaration d’un embargo sur les ventes d’armes après l’attaque préventive de l’État hébreu contre l’Égypte, qui déclenche la guerre des six jours.
Peu après, le premier président de la Vème République prononce une conférence de presse dans laquelle il dit une phrase qui restera tout aussi célèbre que polémique. Le chef d’État affirme que «certains» redoutent que «les Juifs, jusqu’alors dispersés, mais qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, c’est-à-dire un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois rassemblés dans le site de leur ancienne grandeur, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles».
Ces propos font l’effet d’une déflagration en Israël. Et si Ben Gourion lui-même disculpe le général en affirmant que les «critiques injustes» n’ont pas examiné ses propos «avec tout le sérieux requis», la relation entre la France et Israël est durablement marquée par ce tournant. Le philosophe et penseur des relations internationales Raymond Aron va même jusqu’à parler d’un «nouvel antisémitisme» dans les colonnes du Figaro. «Le général de Gaulle voulait, après l’indépendance de l’Algérie, renouer de bonnes relations avec les pays arabes qui avaient rompu diplomatiquement avec la France», explique Denis Bauchard, ancien ambassadeur en Jordanie et conseiller pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à l’IFRI. C’est dans cet esprit d’équilibre que ses successeurs vont s’inscrire, chacun à leur manière.
Après le général de Gaulle, ni Georges Pompidou ni Valéry Giscard d’Estaing ne foulent le sol israélien. En mars 1982, François Mitterrand devient donc le premier chef d’État français à se rendre à Jérusalem depuis la création de l’État hébreu en 1948. À la tribune de la Knesset (parlement israélien), le 4 mars, il prononce un discours historique dans lequel il réitère son attachement à l’existence et à la sécurité d’Israël.
Fidèle à la doctrine gaulliste, François Mitterrand soutient néanmoins «l’irréductible droit de vivre du peuple juif», comme celui «des peuples qui l’entourent» – en particulier les Palestiniens de Gaza ou de Cisjordanie et les Libanais. «On ne peut demander à quiconque de renoncer à son identité», déclare-t-il. Favorable à une solution à deux États, il se dit prêt à soutenir des négociations de paix avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), dirigée à l’époque par Yasser Arafat, si cette dernière renonçait à la lutte armée et reconnaissait le droit d’Israël à exister. «Le dialogue suppose la reconnaissance préalable et mutuelle du droit de l’autre à l’existence. Le dialogue suppose que chaque partie puisse aller jusqu’au bout de son droit, ce qui pour les Palestiniens, comme pour les autres, peut signifier, le moment venu, un État», affirme-t-il.
Sept ans plus tard, de l’Élysée à l’Institut du monde arabe, Yasser Arafat fera une visite en France très remarquée jusqu’à déclarer caduque le passage, dans la charte de l’OLP, qui affirme la nécessité de la destruction de l’État d’Israël.
En octobre 1996, un an après son accession à l’Élysée, Jacques Chirac entame sa première grande tournée diplomatique dans six pays en huit jours : Syrie, Israël, Palestine, Jordanie, Liban et Égypte. C’est à Jérusalem-Est que le chef de l’État laisse éclater sa fameuse «colère présidentielle» contre les services d’ordre israéliens, censés le protéger.
Alors qu’il déambule dans la vieille ville, Jacques Chirac s’en prend, dans un anglais bancal et à l’accent français très prononcé, aux agents de sécurité qui s’interposent entre lui et des Palestiniens venus le saluer. «What do you want? Me to go back to my plane and go back to France? Let them go, let them do. This is not a method, this is a provocation. That is provocation. Please you stop now.» (Que voulez-vous ? Que je retourne à mon avion et que je rentre en France ? C’est ce que vous voulez ? Laissez-les aller, laissez-les faire. Ce n’est pas une méthode. C’est une provocation. Ceci est une provocation. Arrêtez maintenant s’il vous plaît.)
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Devant l’église Sainte-Anne, propriété de l’État français, Jacques Chirac peste à nouveau contre la présence de soldats israéliens. «Je ne veux pas de gens armés en territoire français, j’attendrai !», tranche-t-il. Ce coup d’éclat, capté par les caméras de télévision, lui assure une grande popularité dans les pays arabes, jusqu’après sa mort. Quelques heures après cette visite mouvementée, Jacques Chirac s’est d’ailleurs rendu à Ramallah en Cisjordanie, le siège de l’Autorité palestinienne, situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Jérusalem.
Nicolas Sarkozy veut effacer l’image laissée par l’esclandre de son prédécesseur. Le chef de l’État, sans doute le plus «israélophile» de ses prédécesseurs, effectue son premier voyage officiel à Tel-Aviv en juin 2008, année du soixantième anniversaire de la création de l’État hébreu. Lors de son discours à la Knesset, il loue «l’amitié» qui unit les deux pays. «Israël n’est pas seul!», lance-t-il, assurant que la France sera «toujours» à ses côtés «quand son existence sera menacée». Le président est même accueilli en «ami intime» par son homologue israélien, Shimon Peres, qui salue en lui «un homme d’action qui comprend l’importance du moment».
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S’il tient à réchauffer les relations avec Israël, Nicolas Sarkozy ne rompt pas totalement avec la position historique de Paris. «Je suis plus que jamais convaincu que la sécurité d’Israël ne sera vraiment assurée qu’avec la naissance du deuxième État, l’État palestinien», affirme-t-il, s’alignant sur le discours prononcé en 1982 par François Mitterrand. «En réalité, s’il a continué à générer un rituel verbal en condamnant les colonies et approuvant la solution à deux État, il n’y a plus eu d’engagement ou de pression sur Israël à partir de sa présidence», analyse Denis Bauchard.
C’est également sous le signe de «l’amitié» franco-israélienne que François Hollande place son premier voyage officiel à Jérusalem. En novembre 2013, le chef de l’État se rend en Israël avec pour objectif «d’encourager» les négociations de paix qui viennent tout juste de reprendre.
Au cours d’un dîner avec le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, François Hollande exprime son envie d’entonner «un chant d’amour pour Israël et pour ses dirigeants». Le lendemain, à la Knesset, il prononce une longue déclaration d’«amitié» et vante la «relation indestructible» qui lie la France et Israël. Avant d’exposer, plus fermement, la ligne de conduite de Paris : «La position de la France est connue. C’est un règlement négocié pour que les États d’Israël et de Palestine, ayant tous deux Jérusalem pour capitale, puissent coexister en paix et en sécurité.»
En janvier 2020, Emmanuel Macron déambule dans la vieille ville de Jérusalem sur les pas de Jacques Chirac. Alors qu’il approche de l’église Sainte-Anne, le président fait signe aux soldats israéliens de ne pas pénétrer dans cette propriété française.
Comme un clin d’œil de l’histoire, le chef de l’État revit une situation similaire à celle de son défunt prédécesseur. Voyant les forces de sécurité se mettre en position pour sécuriser l’intérieur de la bâtisse, Emmanuel Macron s’emporte dans un anglais, là encore, teinté d’un accent français prononcé : «Vous savez bien que ça ne marche pas comme ça, et je le dis avec beaucoup d’amitié pour vous… Parce que je crois que ça a toujours été comme ça». «Il y a des règles, les amis. On va les respecter […] Il faut que les choses se passent aussi calmement qu’elles se passent depuis ce matin. Je ne suis pas en danger à l’intérieur. Donc ne faites pas de choses qui sont de la provocation.» Préméditation en guise de référence à Jacques Chirac ? L’intéressé a en tout cas démenti toute opération de communication.