New York
« Les nouvelles ne sont pas bonnes », depolama, prévenait vendredi soir l’agent littéraire américain Andrew Wylie. Quelques heures plus tôt, le célèbre écrivain Salman Rushdie avait été poignardé par un agresseur alors qu’il s’apprêtait à prendre sur la scène du festival de littérature de la Chautauqua Institution, dans le nord-ouest de l’État de New York.
Âgé de 75 ans, Salman Rushdie était en vie, après avoir été prestement évacué en hélicoptère vers l’hôpital le plus proche, à Erie en Pennsylvanie. Mais ses blessures n’augurent rien de bon : frappé à de nombreuses reprises au cou, au visage et à l’abdomen, « Salman va sans doute perdre un œil, a ajouté Andrew Wylie. Les terminaisons nerveuses dans son bras sont sectionnées, son foie a été poignardé et il est endommagé ».
L’auteur des « Versets sataniques », qui romançait une partie de la vie du prophète Mahomet et lui valut une fatwa (décret religieux) de l’ayatollah iranien Ruhollah Khomeini le 14 février 1989, aurait repris conscience après une intervention chirurgicale de plusieurs heures, mais il serait sous assistance respiratoire et incapable de parler.
L’agresseur se nomme Hadi Matar, est âgé de 24 ans et serait originaire de Fairview dans le New Jersey, directement en vis-à-vis de Manhattan, le long du fleuve Hudson. Ses motifs ne sont pas encore connus. Les enquêteurs auraient récupéré sur les lieux des attentats un sac à dos et plusieurs appareils électroniques, qu’un mandat permettra d’examiner.
Les témoins ont décrit une agression fulgurante, survenue à 10h47 du matin, et une lutte farouche pour neutraliser l’assaillant tandis qu’il continuait de porter des coups de couteau à sa victime. « Il a fallu cinq personnes pour l’écarter, relate Linda Abrams, qui se trouvait au premier rang dans l’amphithéâtre de la fondation à l’origine de l’invitation de Rushdie. Il était juste furieux, complètement furieux. Tellement fort, et juste très rapide ». Un officier de police en uniforme aurait alors réussi à passer les menottes à Hadi Matar, tandis que le couteau ensanglanté tombait de ses mains.
Aussitôt entouré par les spectateurs, Salman Rushdie a dans un premier temps été allongé à même le sol en attendant l’arrivée des secours, tandis que des spectateurs commentaient : « son pouls bat, son pouls bat ».
Le commissaire de police Eugene Staniszewski, de la police d’État de New York, a assuré lors d’une conférence de presse qu’une enquête conjointe avait été ouverte avec le FBI. Agé de 41 ans lors de la fatwa édictée contre lui, sa tête mise à prix plusieurs millions de dollars par le régime chiite iranien, l’écrivain britannique d’origine indienne, qui résidait alors à Londres, avait dû entrer en clandestinité forcée. Cet exil forcé allait se prolonger trois décennies, jusqu’à ce qu’à 71 ans, il se résolve à en sortir. « Oh, il faut que je vive ma vie », rétorquait-il à ceux qui le conjuraient de rester prudent.
Depuis lors, Salman Rushdie, auteur d’une quinzaine de livres et romans, intervenait régulièrement lors d’événements littéraires et caritatifs, près de New York où il résidait. Et le plus souvent, sans aucune sécurité apparente.
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Son agression a provoqué des réactions enthousiastes parmi les ultra-conservateurs religieux en Iran. Une citation de l’ayatollah Ali Khamenei, remontant à plusieurs années, était abondamment citée en ligne : la fatwa contre Salman Rushdie, assurait le leader religieux iranien, est « une balle qui a été tirée et ne s’arrêtera que le jour où elle atteindra sa cible ».
A Washington, le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan s’est bien gardé d’incriminer ouvertement Téhéran, précisant toutefois qu’un tel « acte de violence était révoltant », « priant pour le rétablissement rapide » de l’écrivain blessé.
Celui-ci est « un des plus grands défenseurs de la liberté d’expression, a déclaré le modérateur de l’événement littéraire, Ralph Henry Reese, âgé de 73 ans et légèrement blessé au visage lors de l’attaque. Nous l’admirons et sommes inquiets au plus haut point pour sa vie.Le fait que cette attaque se soit produite aux Etats-Unis est révélateur des menaces exercées sur les écrivains par de nombreux gouvernements, individus et organisations ».
Ebranlée, la directrice de l’association d’écrivains PEN America, Suzanne Nossel, a déclaré n’avoir « pas connaissance d’un incident comparable lors d’une attaque publique contre un auteur littéraire sur le sol américain ».
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« L’attaque perpétrée aujourd’hui contre Salman Rushdie était aussi une attaque contre l’une de nos valeurs les plus sacrées, la libre expression de penser », a pour sa part commenté le gouverneur de l’État de New York, Kathy Hochul.
« Les Versets sataniques » demeurent interdits à ce jour au Bangladesh, au Soudan, au Sri Lanka, et en Inde. Avant Rushdie, le traducteur japonais des « Versets », Hitoshi Igarashi, avait été poignardé à mort le 12 juillet 1991 à l’université de Tsukuba, l’enquête pointant du doigt le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI), les fameux pasdarans. Son homologue italien, Ettore Capriolo, avait réchappé de justesse au même sort deux semaines auparavant, le 3 juillet 1991 à Milan. L’éditeur norvégien, William Nygaard, a quant à lui été blessé de trois balles à son domicile d’Oslo le 11 octobre 1993, par deux individus ultérieurement identifiés comme un ressortissant libanais et un diplomate iranien.
La fatwa contre Salman Rushdie reste d’actualité, bien qu’un président iranien, Mohammed Khatami, ait déclaré en 1998 que Téhéran ne soutenait plus sa mise en œuvre. Al-Qaïda a placé l’écrivain sur sa liste noire en 2010. Deux ans plus tard, une fondation religieuse iranienne aurait même porté la récompense pour son assassinat à 3,3 millions de dollars.