Vous l’avez peut-être vu apparaître sur votre écran alors que vous vous apprêtiez à regarder une vidéo : «Les bloqueurs de publicité ne sont pas autorisés sur YouTube». Désormais, la seule façon de se débarrasser des publicités sur la plateforme est de souscrire à la version premium, pour 12.99 euros par mois. Cette mésaventure est notamment arrivée à la femme d’un certain Alexander Hanff. Si ce nom ne vous dit rien, cet Irlandais est pourtant l’un des principaux experts au monde en matière de protection des données en ligne et de protection de la vie privée. Il a notamment conseillé la Commission européenne sur ces sujets et a participé à l’élaboration du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) en 2016.
«Ma femme, qui travaille dans mon entreprise – est venue me voir en me disant qu’elle ne pouvait plus regarder de vidéo sur son ordinateur. C’est un vrai problème car YouTube est une source d’informations pour tous», raconte le spécialiste au Figaro. D’après lui, en agissant de la sorte, la plateforme va à l’encontre de l’article 5 de la directive européenne sur la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques de 2002. Celle-ci stipule en effet qu’aucune donnée personnelle collectée sans le consentement de l’utilisateur ne peut servir à quoi que ce soit. Or, afin de détecter les tentatives de blocages par des bloqueurs, YouTube exécute un «script» intrusif pour l’internaute et son appareil.
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Le 19 octobre dernier, Alexander Hanff a donc porté plainte contre YouTube auprès de la Commission de protection des données en Irlande, l’équivalent local de notre CNIL. Le pays abrite le siège de Google – qui a racheté YouTube en 2006 – en Europe. L’enjeu est capital : si jamais l’instance entérine l’irrégularité, celle-ci pourrait être constatée partout en Europe et le géant américain serait alors forcé d’autoriser à nouveau les bloqueurs de publicité sur YouTube.
«J’ai eu un appel avec un enquêteur de la Commission la semaine dernière. Il m’a dit qu’ils n’étaient pas en désaccord avec mon analyse», se réjouit Alexander Hanff. La Commission a contacté YouTube, qui doit maintenant répondre de l’accusation. Le militant n’est pas seul dans son combat. «La personne que j’ai eue au téléphone m’a indiqué qu’ils sont débordés de plaintes identiques», indique l’expert. Si Google était condamné, le géant du web pourrait toutefois faire appel. Alexander Hanff, lui, est confiant : en 2016, la Commission Européenne lui a déjà donné raison en indiquant que la détection de bloqueurs de publicité requérait le consentement de l’utilisateur.
Depuis la Suède où il vit et travaille, Alexander Hanff préfère s’amuser de la situation. «Je suis habitué à voir Alphabet [NDLR : la société mère de YouTube] violer la loi, c’est un peu une habitude pour eux». L’expert confie cependant être surpris de l’agressivité de la mesure : «Google a fait une énorme erreur. Cela va à l’encontre de ce que la communauté veut, et il y a d’autres moyens de monétiser YouTube», assure-t-il. Parmi les pistes proposées par le spécialiste : abandonner la publicité dite «comportementale» pour celle «contextuelle» ou de marque. Ces pratiques plus respectueuses ne nécessiteraient pas le traitement de données personnelles ou le suivi des internautes.