«Nous sommes engagés dans la bataille depuis le 8 octobre.» Dans un discours filmé très attendu, tenu ce vendredi 3 novembre, le tant redouté chef du Hezbollah a pour la première fois confirmé les craintes d’Israël et des Occidentaux: son mouvement soutient officiellement le Hamas et ses attaques terroristes, qui ont durement frappé Israël le 7 octobre dernier. Depuis, «la campagne s’est étendue à plus d’un front», a-t-il ajouté, face caméra. Les roquettes tirées depuis le sud-Liban ces dernières semaines n’étaient donc pas le fait de la volonté d’individus isolés, mais bien de celle de sa force armée chiite, dont l’implication dans le conflit pourrait bien embraser la région.
Pour autant, Hassan Nasrallah, 63 ans, n’a pas officiellement annoncé une offensive terrestre contre Israël, contrairement à ce que prévoyaient nombre d’observateurs. Coiffé de son habituel turban noir, le leader chiite a seulement fait peser l’éventualité «réaliste» «d’une guerre totale». «Nous disons à l’ennemi pouvant songer à attaquer le Liban, ou à mener une opération préventive, que ce serait la plus grande bêtise de son existence», a-t-il déclaré lors de son allocution télévisée, retransmise à des dizaines de milliers de ses partisans dans la banlieue sud de Beyrouth et d’autres régions libanaises. Le chef du Hezbollah, barbe grise et petites lunettes sur le nez, en a profité pour charger les États-Unis. Il a ainsi accusé l’Amérique d’être «entièrement responsable de la guerre en cours à Gaza», estimant qu’«Israël n’est qu’un instrument». «L’Amérique empêche le cessez-le-feu et l’arrêt de l’agression (…) Nous sommes prêts (à faire) face à votre flotte, avec laquelle vous nous menacez», a-t-il assuré, alors que des navires américains ont été dépêchés en Méditerranée. Il a enfin justifié les attaques terroristes du Hamas: «Il n’y a pas de campagne plus importante que la campagne contre les sionistes. Il n’y a rien de plus important que cette campagne d’un point de vue religieux, moral et politique, d’un point de vue humain.»
Un discours antisioniste qui lui est chevillé au corps depuis près de 50 ans. Après une enfance passée à l’est de Beyrouth, au Liban, il rejoint à l’âge de quinze ans, en 1975, le mouvement Amal, une organisation chiite politique et paramilitaire, impliquée dans la guerre civile libanaise et fortement soutenue par l’Iran. Amal entend à l’époque lutter contre les autorités libanaises qui, selon le mouvement, n’empêchent pas Israël de mener des raids sur le pays, qui abritait des combattants de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) frappant l’État hébreu.
Même s’il devient le commandant d’une des brigades d’Amal, Nasrallah quitte l’organisation en 1982 pour rejoindre le nouveau Hezbollah, alors qu’Israël vient tout juste d’envahir le Liban pour faire définitivement cesser les attaques de l’OLP. Le Hezbollah, également soutenu par l’Iran, souhaite alors «libérer le pays de l’occupation israélienne via la lutte armée». Tout au long de la décennie, le jeune homme gravira les échelons de l’organisation. Il sera ainsi en son cœur, alors qu’une série d’attentats commise par le mouvement endeuillera la région, comme celui d’avril 1983, contre l’ambassade des États-Unis à Beyrouth, qui a fait 63 morts. Il profitera également de ces années pour également se rendre en Iran, afin de parfaire son éducation religieuse, reçue lors de sa jeunesse.
C’est finalement en 1992 que ce fils d’épicier prendra la tête du mouvement chiite, alors que son prédécesseur, Abbas Moussaoui, est tué par un missile israélien. De par son parcours, Nasrallah devient automatiquement une cible pour Tsahal. Son groupe armé va alors mener des attaques frontales contre l’armée israélienne, grâce au soutien logistique de l’Iran. Les opérations successives de Tsahal, comme celle nommée «Justice rendue» en 1993, ou «Raisins de la colère» en 1996, ne parviennent pas à faire cesser les assauts du Hezbollah. Tant et si bien que le mouvement chiite est considéré par ses partisans comme le principal acteur du retrait de l’armée israélienne du Liban en 2000. Nasrallah réitérera son «succès» lors du conflit israélo-libanais de 2006, qui s’est soldé par une trêve au bout de 33 jours de combats entre le 12 juillet et le 14 août. Le Hezbollah aura perdu des centaines de combattants, et le Liban, un millier de civils. Ce qui n’empêchera pas Nasrallah d’asseoir son autorité.
Sous sa direction, le Hezbollah parvient même à satisfaire ses ambitions politiques, en entrant au Parlement libanais. Aujourd’hui, il y compte 13 députés. Des ministres issus du Hezbollah sont aussi entrés au gouvernement depuis 2006, comme celui des Transports et celui du Travail, actuellement en poste.
Faisant office de figure politique, mais également religieuse, Nasrallah vivrait dans un bunker depuis 2006. D’après l’encyclopédie Britannica, son règne est marqué par le populisme, alors que le sexagénaire n’a cessé d’insister sur «l’importance de la dignité et de l’honneur arabes», en évitant toute prise de parole «intimidante». Globalement respecté par le monde arabe, la population libanaise est divisée à son sujet, certains Libanais l’idolâtrant du fait de l’influence économique du Hezbollah dans certaines régions pauvres, de nombreux autres le détestant pour son aura religieuse et guerrière. Nasrallah a d’ailleurs été accusé au Liban de corruption et d’autoritarisme, notamment en 2019, quand il a accusé les manifestants dénonçant l’échec du gouvernement à lutter contre la crise économique d’être «manipulés pour servir des agendas politiques régionaux et internationaux», selon France 24.
Mais nul doute que le dernier discours de Nasrallah – qui a fait l’objet de chansons hommages populaires par des artistes libanais dans les années 2000 – lui permettra d’enjoliver son image, déjà très appréciée au Moyen-Orient. Un article du New York Times daté d’août 2006 rapportait qu’un homme politique arabe l’avait qualifié «d’homme le plus puissant du Moyen-Orient» et «du seul dirigeant arabe qui fait réellement ce qu’il dit qu’il va faire». De son côté, Al-Jazeera l’avait comparé à Che Guevara et Fidel Castro. Des figures révolutionnaires, qui ont entraîné dans leur sillage des centaines de morts. Au Figaro , des Libanais ont déjà témoigné, le mois dernier, leur crainte d’être entraînés dans la guerre Israël-Hamas à cause du Hezbollah.