En 2019, les réalisateurs Jimmy Chin et Elizabeth Chai Vasarhelyi tenaient le monde en haleine avec Free Solo. Leur documentaire filmait les exploits insensés de l’alpiniste Alex Honnold, premier à gravir en escalade libre, sans attache ni harnais, le mur El Capitan de 900 mètres de haut de la vallée Yosemite. Un Oscar plus tard, le duo signe un portrait tout aussi saisissant et empli de suspense avec leur premier long-métrage, Insubmersible. Leur biopic, disponible sur Netflix, retrace la prouesse de la nageuse d’endurance Diana Nyad. En 2010, à 61 ans passés, l’ex-athlète et journaliste sportive s’est mis en tête de rallier à la nage Cuba à Miami. Un défi sur lequel elle s’était cassé les dents à 28 ans.
L’impossible a les traits d’Annette Bening. La star d’American Beauty rend palpable l’abnégation de Nyad, les efforts physiques surhumains que ni l’épuisement, ni le froid, ni les hallucinations, ni les méduses mortelles ne sauraient épuiser. Tout se lit sur son visage brûlé par le soleil et le sel. Annette Bening ne dissimule aucune ride et imperfection. La comédienne s’est entraînée un an sous l’égide d’une ancienne nageuse olympique, sculptant son corps, passant quatre à six heures dans les bassins pour être capable de rester des demi-journées dans l’eau une fois arrivée sur le plateau en République dominicaine.
« Comme Nyad, elle a découvert les vertus méditatives de la nage longue distance. Sa détermination nous a bluffés et nous a permis d’être bien plus ambitieux avec notre plan de tournage. Elle en a beaucoup bavé avec le masque antiméduse qui lui donnait des haut-le-cœur. Elle a mis des jours à nous demander de faire un trou au niveau des lèvres. Malgré la fatigue et cet inconfort, elle trouvait le temps de faire la conversation à chacun », admire Elizabeth Chai Vasarhelyi.
Sa Nyad n’est pas un loup solitaire. Elle a le soutien de son entraîneur et meilleure amie Bonnie (la merveilleuse et trop rare Jodie Foster à l’affiche en janvier prochain de la quatrième saison de True Detective). Cette complicité est le cœur battant du film. « Il est peu fréquent de montrer une relation purement platonique entre deux femmes homosexuelles de cet âge, représentatives d’une génération qui se sont reconstituées une famille de coeur. On se fiche de savoir qui est sorti avec qui. On est toujours là l’un pour l’autre », note Elizabeth Chai Vasarhelyi.
Insubmersible, qui pourrait faire des vagues aux Oscars et dans la saison des prix, interroge la performance au féminin, la mémoire du corps. Que se passe-t-il quand, tentative après tentative, il répète ses échecs ? Quel secret dissimule un tel acharnement ? « Aucune personne ne s’impose un tel défi, un tel niveau de discipline et de douleur, sans raison souvent complexe. Chaque brasse nous dévoile un petit peu plus de sa psyché. Si au départ, Nyad fuit quelque chose, à la fin elle se dirige au contraire vers un nouvel horizon : Bonnie, l’équipe d’experts et de marins qui l’accompagnent, car elle comprend qu’un tel exploit ne peut se réaliser seule », souligne encore Elizabeth Chai Vasarhelyi. Et d’ajouter : « Le monde l’a mise de côté, considère qu’elle est bonne pour le rebut. Mais elle a tout sauf fini de rêver, elle vient de se réveiller. Son destin rappelle qu’il n’est jamais trop tard pour réaliser ce qui nous tient à cœur et être vraiment soi-même. L’important est de bien s’entourer, de trouver son système d’entraide. »
À ce portrait vibrant s’ajoute un art hypnotique de filmer les flots que fend l’héroïne. Elizabeth Chai Vasarhelyi cite L’Odyssée de Pi et Le Scaphandre et le Papillon comme points de référence. L’océan devient un personnage à part entière, semble changer de texture selon les humeurs de l’héroïne : repoussant sa sirène ou l’accueillant en son sein sans résistance. Barrière à abattre autant que cocon protecteur ou partenaire de jeu facétieux. Les mouvements de Nyad ont beau être répétitifs, la caméra ne l’est pas et sollicite sans cesse les sens du spectateur.