Il ne faudrait pas se laisser duper par le calme apparent du Sénat. Ni par la présentation, plutôt sobre, du projet de loi sur l’immigration par Gérald Darmanin dans l’Hémicycle. Lundi à la tribune, le ministre de l’Intérieur s’est dit «ouvert à la discussion pour coconstruire un texte ferme, juste et efficace». «Ce qui va compter, a-t-il insisté, ce ne sont pas les postures, les futures majorités, c’est l’efficacité pour répondre à la demande d’autorité des Français.»

Les bancs clairsemés de la droite n’ont d’ailleurs pas empêché le ministre d’envoyer quelques signaux aux Républicains, alliés espérés et dont le vote est essentiel, en saluant le sénateur François-Noël Buffet, auteur d’un rapport sur l’immigration dont s’est largement inspiré Gérald Darmanin. Allant jusqu’à opportunément «plaider coupable de plagiat». Non, il ne faudrait pas se laisser duper par ces politesses d’usage. Car sous le vernis, et malgré les trois motions de rejet déposées par la gauche et calmement écartées, les discussions vont bon train.

Ces dernières heures, les négociations se sont même intensifiées. Lundi matin, avant que les débats ne s’ouvrent à la Chambre haute, les présidents de groupe de la majorité présidentielle se sont réunis autour d’Élisabeth Borne et de Gérald Darmanin. Confiant, ce dernier a livré la stratégie de l’exécutif au Palais du Luxembourg, où la totalité du texte doit être examinée avant la fin de la semaine. Objectif: trouver un compromis sur l’article 3 qui prévoit de régulariser les immigrés clandestins exerçant dans les métiers dits «en tension». Une mesure contre laquelle la droite est vent debout mais que soutiennent ses alliés, les sénateurs de l’Union centriste (UC).

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Depuis plusieurs semaines, les deux composantes de la majorité sénatoriale négocient autour de ce point précis afin de trouver un atterrissage qui permettrait l’adoption d’un texte durci, dans son ensemble. Un compromis que le président du Sénat, Gérard Larcher, appelle de ses vœux. Ces derniers jours, les centristes ont travaillé à la rédaction d’un amendement qui permettrait «d’alléger» cet article. Sans succès, pour l’instant: le patron du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, l’a redit dans les colonnes du Figaro lundi: «Cet amendement va dans le sens d’un assouplissement des critères de régularisation, et nous, nous souhaitons les renforcer.» Les centristes, jouant le rôle de conciliateurs intéressés, ne «désespèrent pas de trouver un accord», dixit Philippe Bonnecarrère, l’un des rapporteurs du texte. «Bruno Retailleau a l’air assez rigide, mais ce n’est pas certain qu’il tienne. Gérard Larcher va essayer de l’isoler», analyse un conseiller LR.

À l’Assemblée, un député de droite médite: «J’ai déjà observé Bruno Retailleau tenir un discours très dur par le passé et finir par se comporter en bon sénateur en trouvant des voies de passage.» Mais l’entourage du chef de file des sénateurs LR l’assurait encore lundi après-midi: il ne faut «absolument pas» compter sur la droite pour donner à cette «voie de passage» le nom de cet amendement porté par l’UC.

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Le dialogue est donc loin d’être terminé. Lundi soir, lors d’un dîner, les responsables de texte de la droite et du centre se sont tous réunis autour de Gérard Larcher, Bruno Retailleau et Hervé Marseille, le patron du groupe centriste. Objectif: faire avancer les discussions sur le sujet tandis que Gérald Darmanin multiplie les rencontres en tête-à-tête avec les sénateurs LR ces derniers jours. «Il fait du cousu main. Il a mis son beau déguisement de Père Noël et distribue les sucreries. Et comme les sénateurs ont la réputation d’être gourmands… Ça marche», confie un familier du Palais du Luxembourg.

Par ailleurs, plusieurs sénateurs LR ne cachent plus leur agacement vis-à-vis de la position très ferme de leur patron. «Bruno Retailleau est en minorité, dans un corner. Il n’a même pas de majorité pour supprimer l’article 3. Au final, il ne va pas avoir le choix: au moins la moitié de notre groupe est favorable à l’amendement Marseille», croit savoir un parlementaire LR. Un chiffre que nuance cette autre source interne au groupe: «La moitié, je ne pense pas. Mais je ne suis pas sûr que Retailleau tienne tout le monde.» Selon nos informations, deux scénarios guettent l’examen du texte au Sénat: «Soit la discussion sur l’article 3 aboutit à un accord d’ici à mardi, soit nous décidons de reporter son examen en fin de semaine pour se laisser plus de temps. Et prouver que, sur le volet fermeté, le gouvernement et la majorité sont d’accord sur presque tout», anticipe un ténor de la majorité sénatoriale.