«Il aura le Goncourt.» Il est rare qu’un livre fasse naître la phrase suivante dans l’esprit de son lecteur. Et pourtant, c’est bien ce que provoque Veiller sur elle, (L’Iconoclaste). Alors donc quelle joie après l’annonce de Camille Laurens! Mardi, au restaurant Drouant, l’annonce du prix Renaudot a été faite dans la foulée: c’est Ann Scott qui l’a emporté avec Les Insolents (Calmann-Lévy).
Rien n’était joué pourtant. La semaine dernière encore, les pronostics allaient bon train dans tout Paris. On a supputé un duel entre Neige Sinno et Jean-Baptiste Andrea, entre deux succès critiques et publics (la première a vendu plus de 45.000 exemplaires et le second, 56.000). On a brandi Humus de Koenig comme le livre écolo de notre époque. On a également parié sur les grandes chances d’Éric Reinhardt, en raison de l’influence de sa maison Gallimard, et notamment du groupe Madrigall (P.O.L., Mercure, Flammarion…), qui a déjà obtenu avec Dominique Barbéris le Grand Prix du roman de l’Académie française.
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Et puis, lundi 6 novembre, les jurées du Femina ont décerné leur prix à Neige Sinno pour son livre Triste Tigre , (P.O.L.), rebattant encore les cartes. Car, on le rappelle, depuis 2021, les Goncourt ont pour principe, de ne pas remettre leur prix à un livre déjà primé par un grand prix de l’automne. Ce matin, l’AFP annonçait favori et gagnant Reinhardt quand Bernard Lehut, sur RTL, choisissait Jean-Baptiste Andrea. Voilà qui est donc fait pour l’auteur, scénariste et réalisateur ! Déjà récompensé par le prix du roman Fnac, ce prix Goncourt est une consécration pour celui qui est passé à l’écriture il y a tout juste six ans, à l’âge de 46 ans.
Depuis 2017, tous les deux ans, Jean-Baptiste Andrea, publie un roman. Après Ma reine, Cent millions d’années et un jour, Des diables et des saints, son quatrième Veiller sur elle a donc suscité l’enthousiasme des jurés. Il s’agit d’un roman d’amour, un roman picaresque, un roman de vengeance comme on n’en fait guère plus depuis Dumas. Son histoire: Mimo, c’est le surnom du personnage principal, est un sculpteur de génie mais l’homme est pauvre, ballotté par les flots d’un destin intraitable. Viola, elle, est héritière d’une famille richissime condamnée au mariage. Peuvent-ils s’extraire de leur condition ? Jeux de dupe, trahisons, vengeance, manipulations… Voilà que se déploie en six cents pages la vie de ces deux êtres indomptables, pris dans les affres de l’Histoire alors que le fascisme gonfle dans cette Italie du début du XXe siècle.
Issus d’une famille de pieds noirs à Cannes, Jean-Baptiste Andrea a d’abord fait «un long détour de vingt ans» par le le cinéma, avant d’oser d’écrire son premier roman Ma Reine … Refusé quatorze fois, le livre publié aux éditions de L’Iconoclaste a connu un beau succès et remporté de nombreux prix: Femina des lycéens, prix du premier roman, prix envoyé par la poste…
Plus récemment, quand on lui demandait comment il se sentait à la remise du prix du roman Fnac pour Veiller sur elle, il répondait: «Je saute au plafond depuis que je suis publié. Je suis un professionnel de l’écriture depuis 1996. Quand j’ai rencontré Sophie de Sivry (fondatrice des Éditions de L’Iconoclaste, décédée récemment, ndlr), cela a été une révolution dans ma vie. Elle m’a vu, elle m’a compris. Je vis dans l’émerveillement depuis ce jour-là et en plus de cela, on me donne un prix pour ce que j’ai écrit! Je suis aux anges.» Nul doute que l’auteur va rester encore un bon bout de temps sur son nuage.