Le suspense a pris fin mardi soir. Sauf énorme surprise, le projet de loi immigration du gouvernement sera largement adopté, dans un peu moins d’une semaine, au Sénat. Un texte durci par la majorité sénatoriale, qui profite des débats à la Chambre haute pour ajouter à cette réforme certaines de ses propositions phares, comme la suppression de l’aide médicale d’État, le rétablissement du délit de séjour irrégulier, l’instauration de quotas migratoires ou encore la limitation du regroupement familial.

Surtout, le principal verrou à l’adoption du texte a été levé. Après moult négociations, les centristes d’Hervé Marseille et Les Républicains de Bruno Retailleau, ont trouvé un accord sur l’article 3, qui prévoyait la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers «en tension». Il sera tout bonnement «supprimé» ont annoncé les deux partenaires de la majorité sénatoriale. Et remplacé par un autre article, prévoyant le durcissement des critères prévus par la circulaire Valls, entrée en vigueur en 2012, et qui autorise la régularisation d’étrangers vivant en France depuis au moins cinq ans et disposant d’un contrat de travail ou d’une promesse d’embauche.

Une «victoire», estiment les deux partenaires de la majorité sénatoriale mercredi soir (lire ci-dessous), alors que les mesures en question ont été votées au Palais du Luxembourg. «Ce texte est imparfait, peut-être, mais il fallait prouver que le Sénat est en mesure d’avoir une majorité sur une réforme aussi importante. Sinon, nous perdons notre légitimité et notre capacité à être le point d’équilibre des institutions», exprime Hervé Marseille.

«Nous nous félicitons qu’un accord ait été trouvé par la majorité sénatoriale sur les métiers en tension. Ce texte ferme et juste est utile à la France. Continuons à travailler ensemble, comme le gouvernement l’a toujours souhaité», s’est félicité le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, sur X (ex-Twitter). L’hôte de Beauvau a d’ailleurs affiché un sourire ravi tout au long de la journée de mercredi, au Palais du Luxembourg. Entre un selfie avec une sénatrice LR et une discussion avec des écoliers venus visiter le Sénat, Gérald Darmanin a observé, d’un regard guilleret, la première ministre, répondre à une question du sénateur socialiste Patrick Kanner sur la suppression de l’aide médicale d’État. Une mesure adoubée par la majorité sénatoriale après un «avis de sagesse» du gouvernement. Une position de neutralité largement dénoncée sur les rangs de la gauche.

En minorité au Palais du Luxembourg, les sénateurs socialistes, écologistes et communistes font d’ailleurs grise mine. Eux qui espéraient un compromis avec les centristes sur les métiers en tension ont vu leur principale chance de victoire s’envoler. Attablée à la buvette du Sénat, Mélanie Vogel en est l’illustration. Prostrée sur sa chaise, les mains sur la tête, l’élue écologiste ne cache pas son désarroi. «C’est un peu l’enfer…», lâche-t-elle, dépitée.

«J’ai l’impression que LR a gagné encore plus que ce qu’ils espéraient au départ. Ce texte a concentré tellement d’enjeux politiciens qui vont bien au-delà de la question des régularisations que la possibilité de faire un travail de fond sérieux n’existe plus.» Et d’argumenter: «LR joue sa survie, Gérald Darmanin son ministère, Élisabeth Borne sa capacité à faire passer des textes et Gérard Larcher son aptitude à tenir sa majorité.» Un avis non contredit par le patron du groupe PS, Patrick Kanner. «Les centristes n’ont tenu aucune digue. Ils ont abdiqué face à la droite. On assiste à une “darmanisation” du texte et à une recomposition de la droite sur ses fondamentaux les plus durs», cingle-t-il.

Le projet de loi, qui a donc de grandes chances d’être adopté mardi prochain lors du vote solennel, devrait être examiné à l’Assemblée à partir du 11 décembre. Et les voies de passage semblent bien plus difficiles au Palais Bourbon. Depuis l’accord entre LR et les centristes, et plus encore depuis le vote de la suppression de l’AME, certains macronistes commencent déjà à se faire entendre. Dans une interview au Figaro , le président de la commission des lois, Sacha Houlié, évoque une décision, «incompréhensible» du Sénat sur l’AME. Le député Horizons Frédéric Valletoux, lui attaque : «L’AME est un chiffon rouge qu’agite une partie de LR et le RN. Mais c’est une ineptie en matière de santé publique!»

Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, a, quant à lui, envoyé un courrier aux députés, mercredi. «J’affirme que le texte qui sera voté au Sénat est de droite. (…) J’ai parfaitement conscience que pour vous, la bataille sera difficile et délicate. (…) Vous pouvez compter sur tout mon soutien (…) et je me tiens à votre disposition pour échanger si vous le souhaitez», leur écrit-il. Manière d’essayer de tenter d’éviter les divisions qu’avait connues la droite au Palais Bourbon, en mars dernier, lors de la réforme des retraites. Alors que la majorité sénatoriale, elle, était une fois de plus presque parfaitement alignée.