Des respirations haletantes, des yeux inquiets derrière des masques à oxygène, des corps allongés, intubés, ventilés, par dizaines dans les hôpitaux… Avec la pandémie de coronavirus, des dizaines de milliers de Français ont fait l’expérience terrifiante du souffle coupé. « Le séisme provoqué par la pandémie nous l’a montré brutalement : la rencontre de l’appareil respiratoire avec un microbe peut décimer une population, désorganiser une société, simplement parce qu’elle détruit les poumons, chargés d’amener l’oxygène de l’air au sang, que celui-ci transporte aux autres organes, qui tous en dépendent », rappelle le Pr Antoine Magnan, président de la Société française de pneumologie de langue française dans une tribune parue dans Le Figaro. Les pneumologues n’avaient évidemment pas attendu la pandémie de Sars-CoV-2 pour connaître les ennemis de la respiration : la grippe, le virus respiratoire syncytial, les rhinovirus mais aussi les autres coronavirus, autant de pathogènes responsables de rhumes, de bronchites…

«Certains virus, comme ceux de la grippe peuvent provoquer des pneumonies avec des syndromes de détresse respiratoire aiguë : cette inflammation diffuse, extrêmement brutale, des deux poumons est responsable du déficit majeur d’oxygénation du sang comme nous en avons connu avec le Sars-CoV-2», décrit le Pr Antoine Magnan.

Chaque année, sur les 2 à 7 millions de personnes qui font une grippe, jusqu’à 1% sont hospitalisées pour complications. La plupart d’entre elles concernent l’appareil respiratoire. Elles peuvent être directement provoquées par le virus de la grippe mais, le plus souvent, elles sont dues à une surinfection bactérienne. « La grippe détruit les cils qui tapissent notre système respiratoire : ils servent à éliminer mécaniquement les germes. Le temps que ces cils se reforment, les bactéries vont proliférer. C’est ce qui explique le “V” grippal : les patients ont de la fièvre, vont mieux puis recommencent un épisode de fièvre. Leur infection grippale est guérie mais ils font une surinfection bactérienne », décrit le Pr Claire Andrejak, pneumologue au CHU d’Amiens. Lorsque les pneumonies, virales ou bactériennes, sont trop virulentes pour les poumons et bloquent l’arrivée de l’air, la supplémentation en oxygène va donner un peu de temps à l’organisme pour gagner la bataille de l’inflammation et de la cicatrisation.

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Qu’est ce qui a changé avec l’arrivée du Sars-CoV-2 ? Pourquoi avons-nous assisté à un tel tsunami ? « Pour infecter, ce coronavirus s’ingénie à ouvrir une porte d’entrée, les récepteurs ACE2, présents partout dans le corps et notamment au niveau des poumons. Il a pu prospérer parce qu’il s’est trouvé face à une population “naïve”, c’est-à-dire sans défenses immunitaires pour le contrer. Il faut imaginer une maison pleine de porte d’entrées (les récepteurs) et sans clés (l’immunité) pour les fermer. Le voleur (le virus) a pu entrer dans la maison et faire tous les dégâts qu’il voulait », illustre le Pr Sébastien Couraud, pneumologue au CHU de Lyon.

Le Sars-CoV-2 a fait d’autant plus de ravages qu’il entraîne également des troubles de la coagulation du sang car on trouve des récepteurs ACE2 sur les cellules endothéliales des vaisseaux sanguins, « C’est pourquoi, au tout début de la pandémie, nous n’avons pas pu éviter des décès par embolies pulmonaires car nous ne savions pas alors que le virus était responsable de thromboses pulmonaires », explique le Pr Chantal Raherison, pneumologue au CHU de Pointe-à-Pitre.

La bonne nouvelle, selon les médecins, c’est que lorsqu’on arrive à surpasser cette épreuve, le poumon est, dans la grande majorité des cas réparé. « Contrairement à ce que nous avions craint en tout début d’épidémie, nous constatons très peu de fibroses pulmonaires, ces cicatrices du poumon qui l’empêche de remplir sa fonction », explique le Pr Antoine Magnan.

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Et pourtant, bien des mois après leur maladie de nombreux malades du Covid-19 se plaignent encore d’essoufflement. « Quand j’ai voulu reprendre mon vélo, j’ai manqué de souffle dès le premier coup de pédale. Et dès que je monte plus de deux étages, j’ai le souffle court », raconte Héloïse, la quadragénaire dynamique, qui a eu besoin d’oxygène lorsqu’elle a été malade en 2021. Le scanner de ses poumons ne montre pourtant aucune anomalie. Comment l’expliquer ? Les pneumologues avancent plusieurs raisons. « Il peut y avoir un déconditionnement à l’effort. Vous faites une infection, vous ne bougez plus. Or, un muscle qui ne bouge pas consomme plus d’oxygène et en réclame plus. Donc on est plus facilement essoufflé », explique le Pr Claire Andrejak. La pneumologue dit avoir constaté beaucoup d’essoufflements liés au déconditionnement à la suite du premier confinement. Pour ces patients, la solution passe par une réhabilitation respiratoire. Chez d’autres personnes, cet essoufflement s’explique par une hyperventilation inappropriée. Un phénomène habituellement rencontré chez les asthmatiques. « Normalement, vous vous mettez à respirer plus vite, ce qui correspond à l’essoufflement quand vous manquez d’oxygène (en cas de pneumonie), ou bien dans un moment d’angoisse. Avec le Covid-19, vous avez des personnes essoufflées qui n’ont plus le réflexe d’adapter leur respiration au besoin d’oxygène », décrit le Pr Andrejak. Cette hyperventilation inappropriée pourrait être lié à un dérèglement des centres nerveux de la respiration. « Chez certaines personnes dont les poumons étaient guéris mais qui ne pouvaient plus bouger en raison de leur essoufflement, l’imagerie cérébrale a permis de constater des anomalies dans les régions de contrôle de la respiration. On constatait cependant un retour vers la normale au bout de quelques mois », observe le Pr Bruno Housset, pneumologue et ancien président de la Fondation du Souffle. Pour ces personnes, la solution passe souvent par la rééducation pour réapprendre à respirer sans y penser. « Cela peut se faire en ville, mais il faut trouver le bon kinésithérapeute et savoir que c’est long », prévient le Pr Andrejak.