Il n’en revient pas. Dieu doit exister, puisque ce fils de pêcheur a obtenu une bourse pour étudier à la prestigieuse université al-Azhar du Caire. Dans ce qui est le Harvard du Coran, Adam semble à la fois dépaysé et ravi, avec sa toque rouge et blanc. Le Grand Imam meurt le jour de la rentrée. Il ne manquait plus que ça. L’affolement s’abat soudain sur l’établissement où règne une discipline de pensionnat à l’ancienne. Il s’agit de trouver sans tarder un successeur au chef sunnite. Ce poste équivaut en gros, question pouvoir, à celui du président. Le gouvernement cherche un candidat qui lui convienne. Comme dit un général, «il ne peut pas y avoir deux pharaons». Adam ouvre de grands yeux, découvre la promiscuité des dortoirs, fraternise avec un élève qui le chaperonne, lui décrit les us et coutumes de l’endroit, lui indique les lectures interdites. Cela ne dure pas. Le nouvel ami est assassiné par des inconnus masqués. Adam a assisté à la scène du haut d’un minaret. La Sûreté de l’état s’en mêle. Un colonel enquête, approche le bizut.
Malgré lui, Adam se transforme en taupe. On appelle ça un «ange». Servir d’informateur aux autorités est une tâche dangereuse, ingrate. Il n’a pas le choix. Le garçon est coincé dans un engrenage fatal. Les rendez-vous ont lieu en secret dans un café du centre-ville. On ne s’assied pas à la même table. On fait sembler de parler dans son portable. Les Frères musulmans veulent imposer leur loi. Le réfectoire est régi par des règles non écrites. De lourds regards s’échangent. Une menace plane. Un concours de récitation a lieu dans la cour majestueuse.
L’indicateur prend sa mission au sérieux. Il ne se rend pas compte de son ampleur. Il faut ruser, mentir, se méfier de son téléphone, garder son sang-froid. Les choses se compliquent lorsqu’un religieux aveugle s’accuse du meurtre. Bizarre, quand même. La vérité offre plusieurs visages. Ils ne sont pas tous beaux à voir. Tarik Saleh (Le Caire confidentiel) brosse de son pays un âpre tableau. Le film a dû être tourné en Turquie.
Luttes intestines, corruption généralisée, les illusions se perdent ici au son du muezzin. L’hypocrisie permet à un haut dignitaire d’avoir un enfant illégitime. Voilà pourquoi ce personnage demandait à Adam de lui rapporter des couches et des Big Mac. Le héros est dépassé par les événements. Une sorte de panique le gagne. Il ne se doute pas de ce qui l’attend. C’est donc lui, pauvre petit gars du littoral, qui est chargé d’influencer le résultat de la future élection? Saleh maîtrise le suspense, dévoile les dessous des belles âmes, dans un mélange d’Un prophète et du Nom de la rose. Il y a du le Carré version égyptienne dans cette affaire de manipulation où une chatte ne reconnaîtrait pas ses petits. Politique et religion, ces domaines abritent de sombres manœuvres, rivalisent de cynisme. Pas un pour racheter l’autre. Il y aura des dégâts. Un ciel noir pèse sur ce thriller contemporain. Le réalisateur montre une capitale sombre, tentaculaire, des nuits éclairées au néon, des embouteillages. La trahison sera au menu. Le moyen de faire autrement? Les anges se brûlent les ailes. Ils n’ont pas le choix. L’innocence, dans ces occasions, n’a pas droit de cité. Un jour, un jour peut-être, Adam recommencera à relever ses filets à l’aube, dans sa barque, au large de son village.