À Fort-de-France

Une attente, interminable, mêlée à de l’impatience et de l’anxiété. Dimanche soir, dans la moiteur nocturne de la baie de Fort-de-France, toute l’équipe de l’équipe Banque Populaire, en mer ou restée à la marina, attendait la délivrance, l’oreille collée aux infos de la radio. «Tant que la ligne n’est pas franchie, on redoute le pépin technique ou l’événement extérieur, un casier ou une palette de bois percutée. Tout peut s’effondrer en quelques secondes. Si je pouvais suspendre le temps jusqu’à l’arrivée et être propulsé après avoir franchi la ligne, je signerais tout de suite», glissait Ronan Lucas, le directeur de l’équipe sur le ponton du village arrivée, l’œil sur son smartphone, à l’affût de la moindre nouvelle de ses deux skippers.

En approche de la Martinique alors que le soleil s’était couché, le géant volant de 32 mètres du tandem Armel Le Cléac’h-Sébastien Josse était attendu aux alentours d’une heure du matin (environ 20h00 heure locale) sur la ligne d’arrivée. À moins d’une catastrophe, leur sacre ne faisait plus aucun doute compte tenu de l’avance sur leur chasseur, SVR Lazartigue (François Gabart-Tom Laperch) repoussé à 177 milles. Troisième à dix heures du lauréat Maxi Edmond de Rothschild (Charles Caudrelier-Franck Cammas) d’une édition 2021 marquée par les émeutes déchirant la Martinique, Banque Populaire XI s’apprêtait à prendre une savoureuse revanche après l’échec cuisant de la Route du Rhum l’an dernier, achevée à la septième place, la faute à une casse de la dérive sous la coque obligeant Le Cléac’h à une escale à Lorient.

Mais depuis le départ de l’épreuve le 29 octobre dans des conditions sauvages au Havre alors que la tempête Ciaran pointait le bout de son nez, le «Chacal» et son compère Sébastien Josse ont, cette fois, été épargnés par le mauvais sort. Pendant quinze jours, les deux hommes ont pu exploiter la pleine puissance de leur machine en dépassant régulièrement les 35 nœuds dans l’Atlantique, soit plus de 65 kilomètres par heure !

Sur les cinq autres bateaux de la catégorie, seul SVR Lazartigue a pu rivaliser quasiment jusqu’au bout avec le train d’enfer imposé par les leaders. Et quelle bagarre entre les deux challengers sur le ring de l’Atlantique ! Le «Petit Prince des Océans» et son acolyte ont même réussi à prendre les commandes de la course il y a quatre jours après avoir contourné l’île de l’Ascension en «faisant l’intérieur» à Banque Populaire, tel un pilote de Formule 1 dans un virage en épingle. Un coup de maître mais «Banque Pop’» a calmement récupéré son trône dans l’entame du sprint final vers l’«île aux fleurs». Victime d’une avarie de barre vendredi et de problèmes techniques quasiment depuis le départ, le tenant du titre, le Maxi Edmond de Rothschild et ses pointes de vitesses folles à 45 nœuds, a lâché prise juste avant le franchissement de cette île britannique perdue dans l’Atlantique. Dimanche soir, Charles Caudrelier et Erwan Israël accusaient 1083 milles de retard sur les leaders, condamnés à podium derrière SVR Lazartigue, deuxième comme en 2021. Plus loin, Sodebo (Thomas Coville-Thomas Rouxel, 4e) et Actual (Anthony Marchand et Thierry Chabagny, 5e) ont dû se contenter de la lutte pour la place au pied du podium derrière les trois grands favoris.

Le couronnement annoncé de Le Cléach et Josse récompense deux skippers avides de revanche à la barre de ce trimaran mis à l’eau en 2021. Vainqueur du Vendée Globe en 2017 avec un Imoca (Banque Populaire VIII) et de la Solitaire du Figaro en 2020, Armel Le Cléac’h avait joué de malchance chez les Ultim ces dernières années (abandon sur la Route du Rhum en 2018 avant un nouvel échec l’an dernier). Son éclatant retour au premier plan est lié à celui de Sébastien Josse, écarté en 2019 du projet Maxi Edmond de Rothschild après des résultats décevants. Le duo va pourtant devoir se séparer. Dans quelques semaines, Le Cléac’h se retrouvera de nouveau seul à la barre de son maxi-trimaran au départ de l’Arkéa Ultim Challenge, un tour du monde en solitaire réservé aux trimarans géants présents dans la Transat Jacques Vabre. On prend les mêmes et on recommence, pour un marathon cette fois et pas un sprint transatlantique. Les cinq fauves seront lâchés le 7 janvier 2024 de Brest.