Une réussite malgré les polémiques. 105.000 personnes au moins, selon la Préfecture de police, ont défilé dans le calme ce 12 novembre à Paris, entre la place des Invalides et le Sénat. De nombreux Français n’ont pu aller jusqu’au bout du parcours de la «grande marche civique» contre l’antisémitisme voulue par le président du Sénat, Gérard Larcher, et la présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, tant une marée humaine s’était rassemblée sous la grisaille parisienne, entrecoupée d’éclaircies. Il y avait des drapeaux bleu-blanc-rouge et israéliens. Des Marseillaise et des chansons juives ont été chantées.
«Je suis extrêmement confiante, car aujourd’hui nous avons montré la plus belle image de la France, tous ensemble, quels que soient nos partis politiques», a déclaré Yaël Braun-Pivet devant le Palais du Luxembourg, lors d’un point presse juste avant de quitter le cortège, à 16 h 30. «Nous voulons dire à nos concitoyens de religion juive que nous sommes à leurs côtés, que nous sommes mobilisés, que nous ne laisserons rien passer», a assuré ensuite la première ministre, Élisabeth Borne.
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Le cortège s’est élancé du parvis de l’Assemblée nationale. Il a ensuite fait un premier arrêt pour entonner une Marseillaise, orchestrée par Gérard Larcher, puis reprise par la foule amassée sur plusieurs kilomètres. Derrière une épaisse banderole qui reprenait le mot d’ordre de la manifestation, «Pour la République, contre l’antisémitisme», un carré de figures politiques menait le défilé aux côtés des deux présidents de chambre et de la chef du gouvernement, aux premiers rangs desquels les ex-chefs de l’État, Nicolas Sarkozy et François Hollande, des anciens premiers ministres, de Manuel Valls à Édouard Philippe, mais aussi une ribambelle de ministres et anciens ministres.
Au milieu des poids lourds politiques, une absence s’est fait remarquer. Celle d’Emmanuel Macron, qui a préféré adresser une lettre aux Français, révélée samedi soir par Le Parisien, dans laquelle il dénonce «l’insupportable résurgence d’un antisémitisme débridé», à quelques heures de la grande marche parisienne.
«Dans ces moments, le chef de l’État doit être là pour l’unité de la nation. C’est son absence qui la remet aujourd’hui dangereusement en question. C’est une faute, et ce sera une faute devant l’histoire», a fustigé le patron des Républicains, Éric Ciotti. «Il aurait pu être là, d’autres présidents avaient été là», a déploré le communiste Fabien Roussel, en référence à la présence de François Mitterrand, en 1990, lors d’un rassemblement contre l’antisémitisme à Carpentras (Vaucluse). En fin de manifestation, le président du Crif, Yonathan Arfi, a laissé échapper un brin de déception, reconnaissant que la venue du chef de l’État «aurait rendu cet événement encore plus historique».
La marche était calme, mais la tension est montée d’un cran sur l’esplanade des Invalides, encore clairsemée avant le départ du cortège. Sous une masse de micros et de caméras, la secrétaire nationale d’EELV, Marine Tondelier, le patron du PCF, Fabien Roussel, et le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, avancent ensemble sous les huées d’une partie des manifestants. «Cassez-vous!», lance un homme. Un autre le suit: «Les vrais fachos, ils sont là! Collabos!» «Il nous semblait que notre place était ici. Nous avons toujours été dans les marches contre l’antisémitisme», a assuré Marine Tondelier. «Toute la droite et l’extrême droite, pourtant unies, ont échoué à reproduire les mobilisations générales du passé», a de son côté déclaré Jean-Luc Mélenchon sur X (ex-Twitter), avant d’enchérir: «Le rejet de l’antisémitisme est plus large en France. Ils l’ont rabougri et rendu ambigu. Le peuple français restera uni malgré ses dirigeants.»
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Éric Zemmour et Marion Maréchal, les deux figures de Reconquête!, sont arrivés discrètement à la manifestation. Cela ne veut pas dire qu’ils n’avaient rien à dire. «En France, les Juifs et les chrétiens ont été chassés des quartiers islamisés. Les djihadistes s’en prennent d’abord aux Juifs, puis aux chrétiens», a affirmé Éric Zemmour, avant de doubler la délégation du Rassemblement national.
Marine Le Pen est arrivée avec le visage fermé. Elle était accompagnée de Jordan Bardella, lui aussi tout aussi fermé. La candidate «naturelle» du RN et le président du parti ont rejoint la cinquantaine de députés frontistes qui les attendaient. À peine descendue de sa voiture, près de la place Salvador-Allende, vers la queue du cortège, la députée du Pas-de-Calais a expliqué à la presse être «exactement à la place où elle devrait être». Elle a fustigé la «petite politique politicienne» de ses adversaires, notamment le porte-parole du gouvernement Olivier Véran, qui expliquent depuis une semaine que la présence du RN à la manifestation est «indécente». Jordan Bardella et l’ancienne candidate RN à la présidentielle ont ensuite gardé le silence.
Il y a eu un moment tendu quand un groupuscule nommé Golem, réunissant une trentaine de «Juifs de gauche», a voulu perturber l’arrivée de Marine Le Pen et de ses troupes aux cris de «Le Pen, casse-toi, les Juifs ne veulent pas de toi». Ils ont été maîtrisés par les forces de l’ordre. Le visage de Marine Le Pen s’est détendu quand les premiers applaudissements ont retenti. Des manifestants ont crié à plusieurs reprises: «Bravo, le RN. Bravo, Marine Le Pen.» La leader frontiste était également accompagnée de Sébastien Chenu, député du RN, vice-président de l’Assemblée nationale, le reste des élus formaient une longue ligne. À un moment, les troupes de Marine Le Pen se sont retrouvées entre le groupe de la sulfureuse Ligue de défense juive, qui a largement applaudi la chef de file frontiste, et une délégation du Crif, largement hostile au RN. Un proche de Marine Le Pen a observé, en rigolant: «Vous voyez, on est au centre!»