Le champagne qu’il a énergiquement secoué pour arroser le public et les journalistes sur le ponton d’honneur où venait de se ranger son maxi-trimaran avait le goût amer de la défaite pour François Gabart. Dans la nuit antillaise, «le petit prince des océans» et son compère Tom Laperche ont, comme les vainqueurs, eu le droit aux coups de canons et au feu d’artifice dans la baie de Fort-de-France pour célébrer une très belle deuxième place, presque cinq heures derrière le duo Armel Le Cléac’h et Sébastien Josse, après un intense bras de fer. Mais sur le flotteur du trimaran qu’il va désormais confier à son poulain Tom Laperche, le cœur n’y était pas vraiment au moment de livrer ses premières impressions. «On est heureux de terminer cette course et d’arriver de l’autre côté de l’Atlantique. On est un peu déçus aussi, car on aurait bien aimé gagner. Mais on est tombé sur plus fort que nous», avouait-il d’emblée, le visage à peine marqué par l’effort.
Son SVR Lazartigue a longtemps tenu tête au Banque Populaire XI, reprenant même les commandes du classement à quatre jours de l’arrivée après un magistral contournement de l’île de l’Ascension. Mais les deux skippers blonds ont cédé leur trône à la paire Le Cléac’h-Josse à la barre d’un trimaran volant tout simplement plus rapide dans le sprint final. «Ils allaient plus vite que nous au portant. Ils méritent leur victoire. On doit continuer à progresser», ajoutait Gabart, avec le sentiment d’avoir tout donné malgré tout: «Je ne pense pas qu’on se soit loupés sur les coups tactiques, météo ou encore stratégiques.»
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Pour le jeune Tom Laperche, qui poursuit son apprentissage du très haut niveau chez les Ultim, la place sur le podium reste bonne à prendre sur un CV qui commence à être bien garni, grâce notamment à son succès dans la Solitaire du Figaro en 2022 après deux podiums. Gabart, lui, collectionne l’argent depuis 2018 après avoir illuminé de son talent le monde de la course au large. Vendée Globe (2013), Route du rhum (2014) puis Transat Jacques Vabre (2015), le chef d’entreprise de 40 ans avait signé un fabuleux Grand Chelem. Mais depuis, les deux transatlantiques se sont refusées à lui: deuxième en Guadeloupe en 2018 et 2022, et en Martinique en 2021 puis cette année. «Je suis un Poulidor, c’est ça?», a-t-il lâché en souriant pour masquer sa déception. «C’est vrai qu’on aime bien gagner, et cela fait une grande série de deuxièmes places depuis 2018. Le côté positif, c’est qu’à chaque fois on est deuxième mais pas très loin du vainqueur et on joue la gagne. On n’est pas à côté de la plaque, mais ce serait bien de gagner…»
Les futurs succès de SVR Lazartigue se dessineront sans lui sur le pont, même si Gabart naviguera toujours l’année prochaine, mais en équipage. Ce sera à Laperche de diriger cet Ultim, l’un des trois les plus performants de la catégorie, à 26 ans et après deux ans d’apprentissage seulement. «Je suis content de voir Tom (me succéder, NDLR) et sa manière de se préparer. Je jouerai un rôle à terre, satisfait de ma nouvelle casquette au sein de l’équipe. J’espère qu’il va gagner. Je suis sûr qu’il est prêt», a-t-il conclu en se projetant sur le rendez-vous du 7 janvier 2024, le nouveau tour du monde des Ultim en solitaire et en course au départ de Brest. «Un truc de fou», juge le jeune héritier, qui mesure l’ampleur de la tâche: seuls quatre marins sont venus à bout d’un tour du globe en solitaire et sans escale pour aller chercher le record: Francis Joyon, Ellen Mac Arthur, Thomas Coville et… François Gabart. Le natif de La Trinité-sur-Mer était donc à bonne école.