C’était il y a deux ans et demi, en pleine pandémie de covid. Le 1er avril 2021 à Barcelone, la femme de ménage n’arrive pas à ouvrir la porte de l’appartement de Patrick Juvet. La clé est restée dans la serrure ,à l’intérieur. À Bordeaux, son manager Yann Ydoux s’inquiète : le chanteur et compositeur de nombreux tubes, dont Où sont les femmes, I love America ! ou encore La Musica, ne répond pas à son téléphone. Depuis quelque temps déjà, le chanteur s’ennuyait. Il ne sortait plus car il refusait de se faire vacciner contre le covid. Mais il répondait d’habitude au téléphone.

«Nous nous parlions tous les jours, parfois trois ou quatre fois. Son silence m’a inquiété. J’ai envoyé un ami avec un serrurier. Ils ont découvert Patrick décédé dans son lit», se souvient Yann Ydoux, manager et ami de Patrick Juvet depuis deux décennies. Éminent mélodiste, la star internationale des années 1972 à 1980 avait depuis longtemps des soucis de santé liés à l’alcool. Ce grand ami de Nicoletta est décédé à seulement 70 ans.

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Son exécuteur testamentaire, Yann Ydoux a passé ces derniers mois à régler la succession depuis la France où il réside. Entre le décès en Espagne et la nationalité Suisse de Patrick Juvet, rien n’a été simple. Comme le veut le droit helvète, un notaire du canton de Neuchâtel, où est né le père de Patrick Juvet, a piloté la succession. Il a fallu traduire des documents de l’espagnol au français. Il a aussi fallu des trésors de diplomatie avec Nancy Chollet, sœur du chanteur, qui l’a fait incinérer sans jamais révéler où sont les cendres. Même si elle a été proche de son frère et a très bien évoqué ses souvenirs dans le documentaire Patrick Juvet, la rançon de la gloire, Nancy Chollet ne figurait pas sur le testament de son célèbre frère.

Le 14 octobre, le notaire suisse a tranché. Son ancien manager Yann Ydoux est l’unique héritier du chanteur. Dans un acte authentique de trois pages que Le Figaro a pu consulter, le notaire explique que Patrick Juvet a laissé ses volontés dans un testament. Il désignait deux héritiers, une ancienne amie de classe, désormais septuagénaire, et son manager. Finalement, seul Yann Ydoux a accepté le legs qui comprend ses droits d’auteur mais aussi des dettes oscillant entre 200.000 et 400.000 euros. Comme beaucoup de stars des années 1970, Patrick Juvet avait eu du mal à réduire son train de vie. Ces dernières années, il passait beaucoup de temps sur les sites de jeux en ligne. «Je suis très honoré de la confiance qu’il m’a faite, je ne m’attendais pas à être son unique héritier», témoigne Yann Ydoux.

À 64 ans, cet homme de l’ombre qui vit entre Bordeaux et Menton est désormais le seul «à avoir le droit de disposer des biens du défunt.» Dans la colonne des actifs, le patrimoine de Patrick Juvet se compose essentiellement de droits d’auteur. Juste avant la pandémie, ses droits d’interprète et de compositeur représentaient en moyenne 150 000 euros par an. Il compte 185 titres à la Sacem dont Le Lundi au soleil, qu’il a composé pour Claude François, et des titres internationaux comme I Love America !

Les années fastes, comme celle où une chanson était retenue pour la bande originale d’un film comme Pédale Douce de Gabriel Aghion (1996) ou de Disco de Fabien Onteniente (2008), ses droits d’auteur grimpaient en flèche. Même chose pour les trois saisons, durant lesquelles Patrick Juvet a participé à la tournée Age Tendre. Juvet était l’un des artistes les mieux payés avec Sheila. Outre ses droits d’auteur, Patrick Juvet touchait entre 8000 et 10.000 euros par date, soit près de 600.000 euros par tournée. Le revival du disco dans les années 2000 lui a aussi assuré de passer à la télévision, d’être rediffusé à la radio et d’être écouté sur les plateformes de streaming.

Durant ses années de millionnaires, dans les 70’s où il a vendu 35 millions de 45 tours et d’albums, il avait investi dans l’immobilier. De ce trésor, il ne reste presque plus rien. À Barcelone, il était locataire. Son chalet en Suisse, où il aimait tant recevoir ses proches et composer, avait été saisi par le fisc et appartient aujourd’hui à une banque. Reste une éventuelle propriété au Brésil près de Rio de Janeiro. «Une étude est en cours pour voir qui en est le propriétaire», confie Yann Ydoux. Quant aux biens mobiliers, une enquête est toujours en cours pour vérifier si le chanteur possédait des objets de valeur comme des tableaux. Selon Yann Ydoux, c’est peu probable.

Comme l’ont fait dans le temps les ayants droit de Claude François et de Mike Brant, Yann Ydoux compte confier la gestion de la carrière posthume de Patrick Juvet à Fabien Lecoeuvre. Comme Nino Ferrer, Patrick Juvet était connu pour ses singles qui ont enterré ses albums très travaillés. «J’étais l’attaché de presse de Juvet sur les tournées Age Tendre et je le connaissais aussi à cause de la gestion du titre Le Lundi au Soleil de Cloclo, confie ce dernier. À chaque fois que je mettais ce titre dans des compilations, cela rapportait des droits à Patrick Juvet. » Des réunions vont être organisées avec le label Panthéon (Universal Music) qui possède la majeure partie du catalogue mais aussi les éditions Rideaux Rouge des ayants droit de Gilbert Bécaud qui gère les droits d’Un lundi au Soleil.

Parmi les projets envisagés, le rachat du chalet suisse pour en faire un lieu d’exposition ou tout du moins un lieu de pèlerinage. Depuis deux ans et demi, faute de tombe et de cénotaphe, les nombreux fans de Patrick Juvet se retrouvent dans Chaplin’s World, la propriété de Charlie Chaplin transformée en musée au-dessus de Vevey dans le canton de Vaud. Là, à la droite du manoir, ils enlacent un majestueux pin de l’Himalaya et se glissent sous les branches pour se photographier avec la plaque secrète qui y figure. Cet arbre majestueux avait été offert par le chanteur à son cher ami Eugène Chaplin en 1973.