«J’ai opéré de 5h à 7h. J’ai commencé mes consultations à 8h30. J’en ai vu un. Puis deux lapins de suite. Ça fait 40 minutes que j’attends comme un con», se désole ce chirurgien. «2 premiers patients pas venus. La 3ème, était bien là. La 4ème ne vient pas, mais à sa place vient un ami à elle, non connu, pour prendre sa place , sans appeler, sans demander. Genre comme s’il venait au restau. Quelle journée…. Ça commence à me gonfler», se désespère une jeune médecin. Sur les réseaux sociaux, ils sont nombreux à témoigner, entre exaspération et incompréhension, de la multiplication des « lapins », ces rendez-vous non honorés qui sont en forte hausse. Autant de créneaux perdus qui auraient pu être attribués à d’autres patients. Un fléau, car si l’hôpital et les urgences sont embolisés, c’est aussi parce que les Français ne parviennent pas à prendre des rendez-vous en ville.

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Pour responsabiliser les patients qui n’honorent pas leurs rendez-vous, les sénateurs LR ont introduit une «taxe lapin» dans le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale actuellement en cours d’examen. Concrètement, quand un rendez-vous auprès d’un professionnel de santé de ville n’aura pas été honoré par l’assuré, une somme forfaitaire sera mise à la charge de ce dernier. Son montant serait fixé par décret et affecté à l’Assurance-maladie. La somme pourra être réglée directement par l’assuré à sa caisse, prélevée sur son compte bancaire avec son autorisation ou récupérée, par l’organisme d’Assurance-maladie, sur les prestations de toute nature à venir. « Face aux problèmes d’accès aux soins, alors que l’on manque de médecins, c’est un moyen de rappeler que le temps médical est précieux », justifie Corinne Imbert.

Déjà, en février dernier, au moment de l’examen de la loi Rist, les sénateurs avaient voté un amendement instaurant une « indemnisation du médecin à la charge de l’assuré social » qui n’honorerait pas son rendez-vous. En Allemagne, par exemple, les patients règlent 5 euros à la prise de rendez-vous, la somme restant acquise au professionnel en cas de non-présentation. Mais, cette fois, le gouvernement semble convaincu. «Il faut reresponsabiliser nos concitoyens. C’est en moyenne un rendez-vous par jour et par professionnel de santé», affirme Agnès Firmin Le Bodo. «Peut-être qu’il faudra réfléchir à un système qui aille plus loin». Déjà en avril dernier, Emmanuel Macron dans une interview au Parisien affirmait lui aussi qu’il fallait «responsabiliser mieux les patients», annonçant que «ceux qui ne viennent pas aux rendez-vous, on va un peu les sanctionner».

Le manque de civisme de certains patients, qui ne prennent même pas la peine de prévenir quand ils annulent un rendez-vous, irrite les médecins depuis des mois. La profession avait alerté l’attention des pouvoirs publics sur ce fléau qui prend de l’ampleur. Plus de 40 % des généralistes rapportent au moins cinq rendez-vous non honorés par semaine, selon une enquête publiée lundi par nos confrères du « Généraliste ». L’Académie nationale de médecine et le Conseil national de l’ordre des médecins estimaient, au début de l’année 2023, que le phénomène concernait 6 à 10 % des patients disposant d’un rendez-vous chaque semaine. Près des deux tiers de ces défections concerneraient un premier rendez-vous. «Déjà en 2015, nous avions mené une enquête auprès de 2 800 médecins, qui montrait qu’en moyenne les médecins perdaient 40 minutes par jour à cause de ces « lapins» . 71 % des médecins constataient au moins un à deux rendez-vous par jour non honorés», rappelle le Dr Valérie Briole, présidente de l’URPS Île-de-France.

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De son côté, la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam), évoque un taux d’annulation des rendez-vous qui pourrait s’établir entre 3 et 4 %. Elle mise plus sur la pédagogie que sur la sanction. À cet effet, elle a lancé le 8 octobre une campagne nationale d’information, avec des petits lapins attendant sur des chaises en salle d’attente, afin d’alerter sur le bon usage du système de santé et la conduite à tenir en cas d’annulation de rendez-vous. «Nous venons de lancer une campagne pour responsabiliser les patients et leur rappeler le civisme de base qui consiste à prévenir s’ils annulent un rendez-vous afin de limiter les «lapins», a indiqué au Figaro Thomas Fatôme, directeur de l’Assurance-maladie. Nous continuerons cette pédagogie». Le sujet sera également au menu des négociations qui se sont rouvertes mercredi sur le tarif de la consultation et l’accès aux soins entre les syndicats de médecins et l’Assurance Maladie.

Dénonçant une « bouc-émissarisation des usagers », France Assos Santé, représentant des associations de patients, rappelle quant à elle que selon le code de santé publique « les honoraires du médecin (…) ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués » et appelle à privilégier les campagnes d’information des usagers ainsi que la responsabilisation des plateformes. Car le phénomène s’est accéléré avec l’essor de la prise de rendez-vous en ligne. Leader du secteur, Doctolib envoie déjà des SMS de rappel aux patients et empêche de prendre rendez-vous sur une même période avec plusieurs médecins de la même spécialité. Malgré cela, le problème demeure.