C’est l’un de ces événements dont tout le monde souvient. Dans le monde des affaires en tout cas, personne n’a oublié le 19 novembre 2018, le jour où Carlos Ghosn, le PDG de Renault et de Nissan, a été arrêté à la descente de son avion au Japon. Ce jour-là, Ghosn a tout perdu : ses postes, sa réputation, sa liberté. Et le choc a plongé les deux constructeurs automobiles qu’il dirigeait dans une crise longue et profonde. L’alliance franco-japonaise entre Renault et Nissan n’y a pas survécu.

L’affaire Carlos Ghosn, parmi les histoires toujours spectaculaires illustrant la courte distance entre le Capitole et la roche tarpéienne, a eu ceci de particulier que c’est l’entreprise Nissan qui a voulu la chute de son patron longtemps 19 novembre 2018. C’est au sein du groupe qu’ont été rassemblés pendant des mois et en secret les éléments dont la justice japonaise a été saisie : rémunérations et promesses de «package» à sa retraite, résidences payées aux frais de l’entreprise, et soupçons de rétrocommissions versées par un distributeur au Moyen-Orient.

Cinq ans après, Carlos Ghosn n’a jamais été jugé pour ces accusations. Seul son ancien bras droit arrêté en même temps que lui, l’Américain Greg Kelly, a été condamné. Il est depuis rentré aux États-Unis. Ghosn en revanche, après quatre mois derrière les barreaux et huit mois en liberté surveillée au Japon, s’est fait la malle le 30 décembre 2019. Une évasion rocambolesque, organisée par avion par des mercenaires américains qui ont ensuite été extradés au pays du Soleil levant et y ont purgé une peine de prison. Carlos Ghosn a ainsi atterri au Liban, pays de son enfance. Il n’en est jamais sorti depuis et semble condamné à y demeurer à vie. Car outre le Japon, la France aussi a émis, l’an dernier, un mandat d’arrêt international à son encontre. L’hyper-PDG qui était connu pour avoir trois passeports (français, libanais, brésilien) n’en a plus l’usage. Depuis Beyrouth, il gère son dossier judiciaire tentaculaire, avec des procédures ouvertes au Japon, en France, aux Pays-Bas, ou encore aux Iles vierges. Au Liban, Carlos Ghosn a entamé une procédure contre Nissan à qui il demande jusqu’à 1 milliard de dollars en réparation. En retour, le constructeur japonais vient de gagner, en première instance, une victoire symbolique contre son ancien patron puisqu’un tribunal libanais a récemment reconnu que Nissan était en droit de récupérer la maison du quartier d’Achrafieh où Carlos Ghosn habite encore.

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L’arrestation de Carlos Ghosn il y a cinq ans a provoqué une onde de choc qui a violemment percuté Renault et Nissan. La détermination de Nissan à employer les grands moyens pour se débarrasser de son patron avait démontré la hantise du constructeur devant la perspective d’être contraint à une fusion avec le groupe français, son actionnaire à 43%. Le projet, poussé à l’époque par les autorités françaises, est enterré.

Au sein du constructeur japonais, les quatre années écoulées ont été de crises de gouvernance à répétition. Chez Renault, les nouveaux dirigeants Jean-Dominique Senard et Luca de Meo ont peu à peu fait le deuil d’une Alliance devenue dysfonctionnelle et toxique. Après quatre ans de négociations houleuses, les deux constructeurs, ainsi que Mitsubishi, ont entièrement réécrit leurs relations. La position dominante de Renault a disparu au profit d’une participation croisée entre le Losange et le groupe japonais à hauteur de 15% du capital. Les structures communes, notamment dans les achats, ont été démantelées. La coopération est censée se créer autour de projets concrets. Ainsi Nissan investira-t-il jusqu’à 600 millions d’euros dans Ampere, la nouvelle entreprise dédiée au véhicule électrique créée par Renault. Le constructeur français envisage, lui, de commencer rapidement à vendre ses actions Nissan pour descendre au niveau prévu de 15%. Les deux groupes qui étaient promis au mariage n’entretiennent plus qu’un cousinage distant. Ils n’ont en partage que le défi de redresser chacun leurs performances et leurs valorisations en bourse, massacrées pendant ces années de crise.