On le sait : l’exposition au tabac pendant la grossesse est néfaste pour le fœtus. Prématurité, petit poids à la naissance voire, en grandissant, un risque accru de problèmes respiratoires, de diabète, de cancer ou encore une plus grande susceptibilité à l’accoutumance. La liste des méfaits du tabac pour l’enfant à naître est longue… et continue de s’allonger. Car une exposition prénatale au tabac favoriserait également le vieillissement biologique de certains organes. Telle est la conclusion d’une étude chinoise publiée dans Science Advances. Autrement dit, les personnes exposées au tabac dans le ventre de leur mère et/ou dans l’enfance ont plus de risque de souffrir précocement de maladies qui apparaissent normalement chez la personne âgée.

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Dans cette étude, les chercheurs de l’Université des sciences et technologies de Huazhong (Wuhan) ont récupéré les données biologiques de plus de 270.000 participants, dont 80.000 ont été exposés in utero au tabac, dans la base de données britannique Biobank. Ils se sont spécifiquement intéressés à des marqueurs sanguins connus pour varier au cours du vieillissement (cholestérol, taux de créatinine, de glucose, cellules immunitaires, etc.), ainsi qu’à la taille des télomères. « Les télomères sont des structures composées de séquences d’ADN situées à l’extrémité des chromosomes, et chargées de protéger leur intégrité. Chez tous les humains, ils raccourcissent avec l’âge mais ce processus peut être plus ou moins rapide », explique Eric Gilson, professeur à la faculté de médecine de Nice et chercheur à l’institut de recherche sur le cancer et le vieillissement (IRCAN).

À partir de ces données, ils ont ainsi pu estimer et comparer l’âge qu’a réellement le corps des individus, selon qu’ils ont été exposés ou non au tabac in utero. On parle d’âge «biologique» – indépendant de leur âge réel ou « âge chronologique » (le nombre d’années écoulées depuis leur naissance). Cette estimation de l’âge biologique s’est fondée sur deux approches statistiques : le calcul du score KDM-BA (Klemera-Doubal Method for Biological Age), un algorithme qui prend en compte plusieurs biomarqueurs (sanguins, génétique, etc.), et le score du PhenoAge, une approche qui se base sur des mesures cliniques tels que la pression artérielle, le taux de cholestérol, le poids, la taille, etc.

Résultat : si l’on compare deux personnes de 40 ans, le corps de celle exposée précocement à la fumée de cigarette vieillit plus rapidement. Dans le détail, les personnes exposées in utero étaient plus âgées de 0,26 année KDM-BA et de 0,49 année PhenoAge par rapport aux individus du même âge n’ayant pas subi de tabagisme maternel, et leurs télomères étaient en moyenne plus courts de 5,34 %. Cette accélération du vieillissement était encore plus prononcée pour les personnes exposées pendant leur enfance (voire ayant commencé à fumer pendant l’adolescence) : leur corps était en moyenne plus vieux de 0,88 année KDM-BA et de 2,51 années PhenoAge et leurs télomères plus courts de 10,53 %. Mais la première place du podium revient aux individus à la fois exposés à la fois in utero et pendant leur enfance, qui étaient plus vieux de 1,13 an KDM-BA et 2,89 ans PhenoAge par rapport à leur âge réel.

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« On se doutait des méfaits du tabagisme infantile sur le vieillissement, mais c’est l’une des premières études à l’estimer avec une approche robuste qui a permis d’éliminer l’effet de facteurs confondants comme la prédisposition génétique au vieillissement précoce », souligne le Pr Gilson. Cependant, les mécanismes par lequel le tabac agit sur le vieillissement restent flous. Les substances toxiques (métaux lourds, goudron, monoxyde de carbones, etc.) sont les premières mises en cause car elles sont capables de franchir la barrière placentaire et d’induire un stress oxydatif. « Ces composés toxiques produisent des espèces réactives de l’oxygène (ROS) qui peuvent endommager l’ADN, accélérer le raccourcissement des télomères et contribuer à la sénescence cellulaire, c’est-à-dire un état où les cellules restent en vie mais arrêtent de fonctionner de manière optimale, tout en favorisant l’inflammation chronique des organes touchés», souligne le Pr Gilson.

«On savait que le tabagisme était associé à des signes de vieillissement cardiovasculaires chez les fumeurs, incluant l’apparition de plaques de graisses (athérome) dans les artères, ou encore de l’hypertension», explique Tripti Rastogi, doctorante au centre d’investigation clinique plurithématique du CHRU de Nancy. « La nouveauté avec cette étude est la mise en évidence de signes de vieillissement chez des personnes exposées prénatalement, laissant craindre un risque cardiovasculaire précoce pour ces victimes du tabagisme».

Dans l’attente de mieux connaître les mécanismes sous-jacents, les auteurs espèrent que ces résultats offriront un nouvel argument de poids aux initiatives de prévention. « Contrairement aux idées reçues, c’est la fumée qui est toxique et pas la nicotine, qui est la substance addictive, rappelle le Dr Marion Adler, tabacologue aux hôpitaux de Paris. Il est donc préférable que les femmes enceintes prennent la dose de nicotine dont elles ont besoin sous forme de substituts nicotiniques (patchs, gomme etc.), plutôt que de s’exposer et d’exposer leur bébé à la fumée, pour pouvoir arrêter l’intoxication tabagique au plus vite et sans souffrir du manque ».