À force de voir et de revoir encore cette publicité pour une taie d’oreiller en soie surgir alors que vous scrolliez tranquillement sur Instagram ou TikTok, vous avez fini par craquer et l’acheter ? Ne vous inquiétez pas, vous n’êtes pas seul(e). Ces publicités ciblées en fonction de vos goûts et centres d’intérêt sont même à la base du modèle économique de ces réseaux sociaux tentaculaires. Et en cette période de Black Friday – qui a lieu ce vendredi 24 novembre – et donc de promotions massives, il peut s’avérer encore plus difficile d’y résister.

Maureen, 28 ans, se présente elle-même comme «une victime de la société de consommation». Il y a quelques mois, elle dit avoir été «harcelée de publicités» pour une marque de lingerie après avoir jeté un œil à sa page Instagram. «Je n’arrêtais pas de recevoir des publicités sur tous mes réseaux. Ensuite j’ai vu une vente privée, du coup j’ai acheté des collants de cette marque», avoue-t-elle. Des collants dont la jeune femme n’est au final pas très satisfaite. C’est une histoire très similaire que raconte Emma, 24 ans : «Je voyais souvent passer des publicités pour une marque de box beauté. Un jour, j’ai vu une story d’une influenceuse sur Instagram faisant la promotion d’une édition limitée de cette box. Je suis allée sur le site de la marque et j’en ai acheté une.»

Outre le fait qu’elle repose sur la personnalisation via la collecte massive de données personnelles des utilisateurs, «la publicité ciblée s’appuie sur le principe de la répétition», décrypte Elisabeth Tissier-Desbordes, professeure émérite de marketing à l’ESCP Europe. «Plus vous répétez la publicité, plus l’internaute a de chances de la voir et de l’intégrer dans ses raisonnements.» C’est ce que toute marque recherche : «rester dans l’esprit du consommateur, rester “top of mind” comme on dit», explique la spécialiste des comportements des consommateurs. C’est parce que le consommateur aura vu ou entendu parler de la marque dans les jours ou semaines précédentes qu’il y pensera et procédera à l’acte d’achat. «Et puis, avec les publicités ciblées, on a l’impression que l’on s’adresse à vous, donc c’est une situation plus confortable pour engager une relation avec une marque», ajoute David Robin, associé chez Colombus Consulting spécialisé dans le marketing digital.

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Preuve de la puissance de la publicité ciblée, environ un Français sur deux (47%) dit avoir déjà été influencé par la publicité sur les réseaux sociaux pour réaliser un achat, d’après un sondage publié en juin 2022 par Capterra. Soit un pouvoir plus important que les contenus publiés par les influenceurs (31%). Néanmoins, une autre étude plus récente, réalisée par Odoxa pour la Fédération du e-commerce et de la vente à distance (Fevad) et parue en février dernier, remet en cause ces résultats, en montrant que les Français sont désormais plus enclins à croire «une personne (connue ou pas) qui parle avec sincérité d’une marque ou qui l’utilise/la porte» qu’une «publicité bien faite et attrayante» (51% contre 46%).

Quoi qu’il en soit, la publicité ciblée demeure omniprésente sur toutes les grandes plateformes sociales. «C’est le moteur de tout, c’est un grand apporteur d’argent pour les réseaux sociaux», souligne Maria Mercanti-Guérin, maître de conférences à l’IAE de Paris et spécialiste du marketing digital. Une étude du Conseil d’État publiée l’an dernier notait par exemple que «le chiffre d’affaires de la publicité ciblée de Facebook atteignait 95 milliards de dollars en 2020, soit 40% de plus qu’en 2019». Malgré son caractère parfois répétitif, la publicité ciblée est pourtant plébiscitée par les internautes, selon certaines études, en ce qu’elle leur permet de voir plus de produits qui correspondent à leurs attentes. «Une publicité intempestive m’ennuie et me fait fermer une appli. Mais quand c’est ciblé et bien ciblé, cela me fait gagner du temps en me montrant des produits qui m’intéressent», estime Pauline, 33 ans.

Il y a toutefois un revers à cette médaille. «Si par exemple vous avez manifesté un intérêt pour la décoration, votre fil d’actualité va être envahi des mêmes publicités, qui vont parfois se répéter 15, 16, 17 fois. Cette saturation des préférences peut être fatigante pour le consommateur», observe Maria Mercanti-Guérin. Boutayna, 36 ans, peut en témoigner. «Je m’énerve souvent sur ces publicités car je les trouve inappropriées, polluants l’esprit et très caricaturales sur nos navigations», déplore la trentenaire, qui les considère «répétitives, pas très subtiles et enfermant dans certains statuts». Elle se rappelle par exemple d’une fois où elle s’est intéressée à une crème de jour, ce qui lui a valu «pendant des jours des publicités de massages faciaux qui font rajeunir, surtout en anglais».

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Attention donc au retour de bâton pour les réseaux sociaux, avertit Maria Mercanti-Guérin. «À force de voir dans son fil davantage de publicités pour des marques que les messages de ses amis, cela peut créer un sentiment de rejet en dégradant l’expérience utilisateur, et ainsi provoquer des mécanismes d’échappement. C’est-à-dire voir des gens abandonner les réseaux à cause du trop-plein de publicités», juge la docteur en sciences de gestion. Pour l’heure, le modèle des réseaux sociaux basé sur les publicités ciblées ne semble pourtant pas remis en question. Même la récente décision de l’UE visant Meta, maison-mère de Facebook et Instagram, d’interdire «tout traitement des données personnelles à des fins de publicité comportementale», n’y fait rien. En réponse, le groupe de Mark Zuckerberg a mis en place un abonnement payant sans publicité à 9,99 euros par mois. Meta s’engageant, en échange de cette souscription, à ne plus collecter les données personnelles de l’utilisateur à des fins de ciblage publicitaire. Les utilisateurs qui refusent de s’abonner devant dans ce cas accepter les publicités personnalisées.

Un choix qu’a refusé de faire Marion, 28 ans, «agacée» par cette nouvelle politique d’utilisation et lassée de voir «de plus en plus de publications ciblées qui ne [l]’intéressaient pas». «À l’heure actuelle j’ai accès aléatoirement à Facebook et Instagram dans la journée, quelques minutes, avant que ne revienne la page pour “utiliser gratuitement l’application”», explique-t-elle. Mais se pose encore la question de la conformité au règlement européen de protection des données personnelles (RGPD) de l’alternative proposée par le groupe américain. «Cela ne durera qu’un temps, car la Commission européenne n’a pas dit son dernier mot, affirme Maria Mercanti-Guérin. Ce que veulent Bruxelles et les Cnil européennes, c’est la fin de la publicité ciblée, donc elles trouveront un autre moyen.» À l’inverse, David Robin, du cabinet Colombus Consulting, voit Meta «trouver une solution» pour sauvegarder son modèle. Le bras de fer ne fait que s’engager.