«Les alliés ont le nombre requis de tanks» nécessaires à l’Ukraine pour renverser les troupes ennemies, déclarait encore le président Volodymyr Zelensky mardi dans son allocution quotidienne, exhortant une fois de plus les Occidentaux à lui fournir des chars lourds. À la même heure, le magazine Spiegel annonçait un revirement spectaculaire du chancelier Olaf Scholz qui aurait finalement accepté la livraison de chars allemands Leopard 2. La chancellerie a confirmé ce mercredi l’envoi de 14 d’entre eux et donné le feu vert aux alliés de l’Ukraine, notamment la Pologne et la Finlande, pour envoyer leurs propres chars de fabrication allemande en appui aux forces ukrainiennes.

Les chars lourds se distinguent des chars légers par leur masse – entre 40 et 70 tonnes – et leur puissance de feu. À titre d’exemple, les blindés légers AMX-10 RC promis par la France, d’une vingtaine de tonnes, n’entrent pas dans cette catégorie. Parmi les principaux chars lourds, figurent le Leclerc français, le Leopard allemand, l’Abrams américain, le Challenger britannique et les T-72/T-80/T-90 russes.

Combien ont été promis, combien seront livrés ? Le président Zelensky a fait savoir mardi que «les besoins» étaient «plus importants que cinq, dix ou quinze chars». Selon le plus haut gradé de l’armée ukrainienne, le général Valeri Zaloujny, cité par le New York Times, au moins 300 chars d’assaut seraient nécessaires pour marquer un tournant sur le front.

À lire aussiLeopard 2, Challenger 2, Abrams et Leclerc : découvrez les chars qui pourraient briser les lignes russes en Ukraine

À ce stade, les Britanniques ont déjà promis à l’Ukraine 14 Challenger 2, et les Polonais 14 Leopard 2. Mercredi, tout en confirmant donner son feu vert à la livraison de Leopard 2 d’autres pays, l’Allemagne a indiqué qu’elle donnerait, dans un premier temps, elle aussi 14 Leopard 2, issus des stocks de la Bundeswehr. Il s’agira de la version A6 de ce char, plus moderne que les A4/5 promis par Varsovie. Quoi qu’il en soit, cela fait donc 52 promesses fermes de chars lourds occidentaux.

Par ailleurs, Berlin a déclaré ce mercredi viser l’objectif de constituer rapidement deux bataillons de Leopard 2 pour l’Ukraine. Un bataillon de chars étant constitué en Allemagne de quatre compagnies, soit 56 unités, il s’agirait donc d’un engagement d’une centaine de Leopard 2.

Mais ce n’est pas tout. Selon le magazine Spiegel, Washington serait également sur le point de franchir le pas pour l’envoi d’Abrams, mais aucune estimation n’est donnée quant au nombre.

Même chose pour la Finlande, qui a fait savoir leur volonté de livrer des chars Leopard 2 à Kiev dès l’aval de Berlin donné, sans apporter de précision quant au nombre. Du côté de la France et de ses Leclerc, Emmanuel Macron a fait savoir dimanche aux côtés d’Olaf Scholz, le chancelier allemand, que «rien n’est exclu» et que la décision «s’appréci(ait)collectivement».

À lire aussiGuerre en Ukraine : les trois conditions françaises pour livrer des chars Leclerc à Kiev

Ces promesses dépendent de fait des stocks de chars lourds des différents États. Quel est l’état des lieux en Europe ? Le char Leopard 2 est le plus répandu, avec quelque 1700 unités opérationnelles en Europe, auxquelles s’ajoutent environ 500 Leopard 1 en réserve. Selon l’Institut international d’études stratégiques (IISS), les Leopard 2 sont répartis dans les armées allemandes (284), autrichiennes (56), danoises (48), finlandaises (100), grecques (353), hongroises (48), suédoises (120), espagnoles (327), portugaises (37) et polonaises (247).

Globalement, si 10% du parc européen était engagé en Ukraine, cela constituerait un total d’environ 200 chars. À l’inverse, les parcs britannique et français sont respectivement de 200 Challenger et 200 chars Leclerc, un stock limité qui ne devrait pas permettre de livraison massive.

Outre-atlantique, Washington dispose de 2600 Abrams M1 opérationnels, pour certains déjà déployés dans des pays de l’Otan. Si l’arsenal est considérable, les États-Unis invoquent une complexité logistique pour justifier leur réticence – à ce stade – à toute livraison. «Le char Abrams (…) requiert une formation difficile, il a un moteur d’avion à réaction. Je crois qu’il consomme 11 litres de kérosène au km», a argué le numéro trois du Pentagone, Colin Kahl. «Ce n’est pas le système le plus facile à entretenir».

À VOIR AUSSI – «Nous allons fournir à l’Ukraine des chars de combat Leopard 2», annonce Olaf Scholz

En réalité, la livraison de chars lourds par des pays voisins n’est pas inédite. Dès le début du conflit, plusieurs États alliés de l’Ukraine ont fourni à l’armée ukrainienne des chars de conception soviétique pour soutenir sa défense face à l’offensive russe. Au total, près de 300 chars de ce type ont été livrés, notamment du T-72, char le plus commercialisé au monde.

Dès le mois d’avril, la Pologne avait ainsi fourni quelque 200 chars T-72. Fin novembre, avec le soutien des États-Unis et des Pays-Bas, la République tchèque a embrayé le pas avec 90 chars T-72B. De son côté, la Slovénie a indiqué en septembre avoir signé un accord pour envoyer 28 chars M55S en Ukraine, une version lourdement modernisée du T-55 conçu en Union soviétique à la fin des années 1950.

Au déclenchement du conflit le 24 février, l’Ukraine pouvait s’appuyer sur la présence de quelque 850 chars plus ou moins modernes, sachant que la France, par comparaison, n’en compte que 224.

Selon le site indépendant Oryx, Kiev aurait perdu quelque 449 chars lourds depuis le début de la guerre. Paradoxalement, la Russie elle-même se trouve être l’un de ses principaux pourvoyeurs pour pallier ces pertes, avec 543 chars capturés à l’ennemi depuis le début du conflit. À l’inverse, 144 chars ukrainiens auraient été capturés par les Russes. Ces chiffres, calculés à partir d’images authentifiées, ne représentent pas forcément l’intégralité des pertes.

Par comparaison, la Russie comptait au déclenchement de son «opération spéciale» une supériorité écrasante sur Kiev avec environ 2500 à 3000 T-72, T-80 et T-90 opérationnels. Selon le chef du renseignement estonien, Moscou disposerait en outre d’«environ 9000 chars dans des sites de réparation et de stockage», qui, en termes de potentiel opérationnel, pourrait lui permettre d’apporter «au moins 3000 chars supplémentaires» sur le front. «Ce qui est évidemment un très, très grand nombre et constitue une menace non seulement pour l’Ukraine, mais pour tous ses autres pays voisins», commentait en décembre le colonel Margo Grosberg.

À lire aussi«Compact. Sportif. Facile à garer»: avec humour, l’Ukraine demande des chars Leclerc à la France

La Russie aurait toutefois perdu depuis le 24 février dernier «60% de son stock total de chars de combat», estimait début janvier le directeur de l’état-major de l’Union européenne Hervé Bléjean. Une chose est sûre, la Russie a au moins perdu 1600 chars, sur les 2500 à 3000 dont elle disposait au moment de lancer son «opération spéciale».

Mais les considérations en termes de quantité ne sont pas pour autant les seules déterminantes. Les chars occidentaux qu’espèrent les Ukrainiens disposent de capacités de nature à pouvoir leur donner un avantage sur les chars soviétiques. Le Leopard II est particulièrement réputé pour sa simplicité d’utilisation, de la maintenance à l’accès aux munitions. Tandis que la Russie, pour sa part, ne dispose que de quelques centaines de son char opérationnel le plus moderne, le T-90M.

Le Kremlin a réagi mercredi aux promesses allemandes, en réitérant ses menaces en direction des Occidentaux. Ils «surestiment le potentiel que (les chars) pourraient donner à l’armée ukrainienne», a déclaré à la presse le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. «Ces chars vont brûler comme tous les autres», a-t-il ajouté.

À VOIR AUSSI – Livraison de chars à Kiev: «Nous devons aider les Ukrainiens», estime Xavier Bertrand