Mahnaz Shirali est sociologue et politologue spécialiste de l’Iran et auteure de Fenêtre sur l’Iran : Le cri d’un peuple bâillonné (Les Pérégrines – 2021).

LE FIGARO. – Cinq mois après la mort de Mahsa Amini, où en sont aujourd’hui les manifestations ?

Elles se sont considérablement affaiblies, jusqu’à presque entièrement disparaître des villes iraniennes. Des manifestants continuent de crier des slogans à leurs fenêtres, certains regroupements spontanés subsistent, mais l’heure n’est plus aux manifestations massives. Le régime des mollahs a commis tant de crimes contre les manifestants qu’il les a effrayés.

Le cas d’Armina Abbasi, étudiante et manifestante qui a passé plus de 100 jours en prison, est notable : elle a été violée et torturée par ses geôliers, et ce n’est ni la première ni la dernière à subir de tels supplices. Ces histoires horribles, ce risque de la torture ou de la mort, marquent les manifestants. N’oublions pas que ceux qui sortent dans les rues ne sont pas des guerriers ni des commandos : ce sont des jeunes, qui viennent pour bonne partie de familles plutôt aisées, qui n’ont jamais été confrontés à ce niveau de violence et de cruauté.

Le pouvoir iranien a relâché ces derniers jours de nombreux prisonniers, dans le cadre d’une amnistie inédite par son ampleur. Est-ce une main tendue vers cette opposition ?

On ne peut vraiment parler de main tendue, quand on sait les conditions inhumaines dans lesquelles ont vécu les détenus. On estime qu’il y aurait environ 20.000 manifestants actuellement emprisonnés dans les geôles iraniennes, même si certains avancent le nombre de 50.000, et on ne sait pas aujourd’hui combien précisément ont été libérés.

À lire aussiIran: des violences sexuelles pour mater la révolte

Ces prisonniers ont probablement été terrorisés par leurs gardiens, à coups de blessures, de tortures ou de viols. Un haut responsable du gouvernement iranien affirmait récemment qu’il ne faut pas tabasser les étudiants dans les rues, au vu et au su de tous, mais plutôt les battre à l’ombre des quatre murs des prisons. Dans ces conditions, ce n’est pas un signe d’apaisement, mais plutôt d’avertissement, qui vise à effrayer les manifestants, et ce même si le président Ebrahim Raïssi avait fait part d’un tel plan visant à renforcer l’«unité» nationale, lancé avec l’approbation du guide suprême. En revanche, il y a là une perte de crédibilité du gouvernement , qui a nié l’existence de ces manifestations pendant quatre mois, pour finalement relâcher des manifestants prisonniers, ce qui est assez paradoxal.

On constate que les rues iraniennes voient circuler de plus en plus de femmes qui ne portent pas le voile. Le régime iranien est-il en train de reculer ?

Aujourd’hui, les Iraniennes qui se déplacent tête nue ne risquent plus d’être arrêtées comme elles auraient pu l’être il y a cinq mois. Le régime des mollahs est conscient qu’une nouvelle affaire à la Mahsa Amini risquerait de voir la rue exploser de nouveau, plus violemment encore, et les conséquences en seraient d’autant plus dévastatrices. En revanche, les mollahs n’iront pas jusqu’à légaliser la liberté du port du voile, qui est obligatoire depuis 1983. Ce dernier est, et reste l’ADN de la République islamique iranienne. Donc ils se taisent, et ferment les yeux sur ce point : c’est une victoire pour les manifestants, gagnée au prix de nombreux sacrifices.

Ce rejet du port du voile est-il le signe d’une révolution, plus implicite, des consciences et des mœurs en Iran ?

Si les Iraniennes n’osent plus manifester comme elles l’ont fait durant quatre mois, il est certain que la société est plus en colère que jamais. Ce mouvement de ras-le-bol infuse dans la société. Il préexistait à la mort de Mahsa Amini, et se transforme aujourd’hui. Les mois qui vont suivre seront décisifs dans la construction de cette opposition. On note des initiatives de structuration du mouvement protestataire, notamment sur les réseaux sociaux, sans qu’elles ne prennent pour l’instant aucune allure politique. Le prince Reza Pahlavi, fils aîné du dernier shah d’Iran, qui vit aujourd’hui à Washington aux États-Unis, œuvre à créer et entretenir les liens de solidarité entre les Iraniens qui vivent dans le pays et la diaspora iranienne, expatriée à l’étranger. Le régime des mollahs se maintient certes à court terme : mais sur le temps long, il ne peut maintenir une telle chape de plomb sur ces manifestants.