Alfredo Bosco est un photojournaliste italien indépendant. Il est de ceux qui, dès 2014 et après les événements de Maïdan et l’invasion de la Crimée, se sont rendus fréquemment en Ukraine pour documenter la guerre contre les républiques séparatistes pro-russes qui finira par engendrer la déflagration d’une invasion à grande échelle par la Russie le 24 février dernier.
Collaborateur du Figaro Magazine, c’est grâce à son talent et à la rigueur de son travail que vous avez pu lire un reportage sur la narco-violence dans l’état du Guerrero au Mexique et – plus récemment – celui sur Svoboda Rossii, la légion des volontaires russes ayant pris les armes contre leur Mère Patrie et Vladimir Poutine.
Comme beaucoup d’autres journalistes, Alfredo Bosco a passé une bonne partie de son année sur le sol ukrainien. De Kiev à Lviv, d’Odessa à Bakhmout, de Marioupol à Mykolaïv, il a de manière quasi-quotidienne contribué à raconter cette guerre sur les ondes et dans les pages des médias de son pays. Depuis le 6 février, il ne peut plus exercer son métier.
Les autorités ukrainiennes ont décidé, via un simple mail et alors qu’il se trouvait à Kramatorsk (ville proche de Bakhmut où la plupart des journalistes sont basés, ndlr) de suspendre son accréditation presse lui permettant de franchir les points de contrôles et donc de pouvoir travailler près des lignes de front. «Votre autorisation n’est plus valide le temps d’une période de clarification de la part des services de sécurité sur les détails de vos éventuelles violations des régulations.» Quelques heures plus tard, alors qu’il discute avec un fixeur (un interprète/facilitateur travaillant avec les journalistes étrangers) ce dernier lui indique «avoir discuté avec des représentants des services de sécurité. L’un d’entre vous est suspecté de collaborer avec l’ennemi.»
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Cette accusation est fondée sur le fait qu’Alfredo Bosco et l’un de ses confrères italiens Andrea Sceresini ont réalisé des reportages du côté des républiques séparatistes entre 2015 et 2022. Quelque chose qui lui avait déjà valu d’être interdit d’entrée sur le territoire ukrainien pendant cinq ans, en 2015. Les autorités l’avaient alors accusé de s’être rendu illégalement en Ukraine alors qu’il détenait une autorisation officielle du ministère de la Défense. À l’époque, déjà, une chasse aux sorcières était menée vis-à-vis des journalistes travaillant des deux côtés de la ligne de front et des Français avaient, de la même manière, été accusés de propagande.
Les républiques séparatistes de la LNR et de la DNR disposaient d’une liste de reporters considérés comme « pro-ukrainiens » et, à l’inverse, le site internet Myrotvorets tenait à jour une liste de personnalités politiques et médiatiques considérées comme « pro-russes ». En 2016, après avoir obtenu l’une des fameuses listes du ministère de l’Intérieur de la république de Donetsk, Myrotvorets avait diffusé aux yeux de tous une liste de journalistes dont – à l’instar d’Alfredo Bosco – le seul crime a été de vouloir faire leur travail en allant documenter les deux côtés de la ligne de front.
Pendant la guerre du Donbass, Kiev a toujours nié prendre connaissance des noms présents sur cette liste – une position qui n’a pas changé, comme le révélaient nos confrères de Libération en octobre dernier : «Myrotvorets n’a rien à voir avec les autorités ukrainiennes», leur répondait l’ambassade à Paris en ajoutant qu’en «aucun cas les autorités ukrainiennes ne s’appuient sur ce site pour quoi que ce soit » En réalité, le site internet dispose de soutiens importants au sein de l’État ukrainien et il est improbable qu’une étanchéité parfaite existe entre ces deux organes.
Mais cette interdiction, qui selon nos informations n’est pour l’instant circonscrite qu’à quelques journalistes italiens, révèle également le prolongement d’une tension entre Kiev et les médias ukrainiens accusés, notamment au printemps dernier, de donner trop de temps de parole à des intervenants pro-poutine. Un sujet remonté directement à la direction de la Rai (la télé publique italienne). Sauf qu’Alfredo Bosco est un journaliste free-lance dont les productions n’ont été que des reportages de terrain publiés dans la presse italienne et européenne.
Pour l’heure, lui et ses collègues attendent une convocation des services de sécurité ukrainiens – convocation qui se fait attendre depuis le 6 février dernier. Ce 21 février, Giorgia Meloni se rend à Kiev pour rencontrer le président Zelensky : avec, sur son programme des points à aborder, la question de l’annulation des autorisations de travailler d’Alfredo Bosco et de ses collègues.