«Pas monter bien haut, mais tout seul », se plaisait à citer Michel Deville. Né le 13 avril 1931 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), le réalisateur est mort dans son sommeil chez lui, le 16 février, à 92 ans. « Je me suis toujours amusé », répétait-il. Il laisse une trentaine de films, souvent des adaptations de livres, et dans des registres divers. « Le charme de ce métier est de n’avoir pas de règles », affirmait cet amateur de musique classique qui souhaitait ne jamais «recommencer » ce qu’il avait déjà fait. Toujours à l’écoute de ce qui se passait autour de lui. Considérant qu’il fallait donner, voire « un peu sacrifier » au cinéma.
Il se présentait obstiné, têtu et courageux dans le domaine du septième art et il a en effet beaucoup « sacrifié ». Fils d’un père fabricant de pots de fleurs, le jeune Michel Deville tombe par hasard sur le décor de la forêt qu’Alexandre Trauner a imaginé pour Juliette ou la Clé des songes, de Marcel Carné. Émerveillé, le garçon se précipite à la Cinémathèque, engloutit des centaines de films, avant de devenir le premier assistant d’un Henri Decoin bienveillant. En sept ans, ils cosigneront treize films dont Razzia sur la chnouf (1954), Folies-Bergère (1956) et La Chatte, avec Françoise Arnoul en résistante pendant la Seconde Guerre en 1958.
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Cette année-là, Michel Deville se lance dans la réalisation d’un premier long-métrage avec Charles Gérard (le futur copain de Jean-Paul Belmondo), un polar, Une balle dans le canon. Puis, travaille avec Nina Companeez, la fille du scénariste Jacques Companeez qui coécrira ses scénarios pendant une dizaine d’années. En 1960, il réalise seul Ce soir ou jamais, inspiré par Marivaux.
Pour le financer, Michel Deville a créé sa propre société de production (Éléfilm, parce qu’il aimait les éléphants). Les deux complices collaboreront jusqu’en 1971, souvent pour des comédies sentimentales fantaisistes et enlevées : Adorable menteuse, Benjamin ou les Mémoires d’un puceau, avec Catherine Deneuve et Michèle Morgan, ou L’Ours et la Poupée, l’un des derniers rôles de Brigitte Bardot, À cause, à cause d’une femme. Raphaël ou le Débauché, dans lequel Françoise Fabian et Maurice Ronet sont passionnément épris l’un de l’autre, est le dernier film du duo (Jean Vilar fait aussi partie de la distribution).
Michel Deville appréciait la compagnie des femmes. À commencer par la sienne, Rosalinde Deville, une extraordinaire dialoguiste, qui a écrit avec lui une dizaine de films. Après Nina Companeez, le réalisateur creuse une veine plus sombre, filme un suicide dans La Femme en bleu (1973), un autre dans Le Mouton enragé, tiré d’un roman de Roger Blondel, où Jean-Louis Trintignant devient le pantin de Jean-Pierre Cassel (1974). Plus noir encore est Le Dossier 51, un thriller tiré du roman – « un dossier », corrigeait Deville – de Gilles Perrault, avec François Marthouret et Didier Sauvegrain, tourné en caméra subjective. Un individu y est broyé par une implacable machine politico-bureaucratique (César du meilleur scénario, dialogues et adaptation 1978).
Observateur attentif des relations humaines, le metteur en scène dit la difficulté des sentiments à travers des personnages ambigus et pervers. Isabelle Huppert et de nouveau Jean-Louis Trintignant jouent à un jeu dangereux dans Eaux profondes, d’après Patricia Highsmith (1981). L’art du mensonge et de la manipulation, parfois un parfum de scandale sous-tendent Le Paltoquet (1986) – son film «le plus personnel », assurait-il -, La Lectrice, qui voit Miou-Miou lire Prévert et Sade (1988), ou le fameux Péril en la demeure (César du meilleur réalisateur 1986).
Pour cette dernière adaptation de Sur la terre comme au ciel, le livre de René Belleto, Michel Deville avait expliqué qu’après l’échec du Voyage en douce (1980) il avait voulu revenir à l’érotisme. La prestation d’une Nicole Garcia dévêtue est restée dans les mémoires. Rosalinde lui avait conseillé : « Prends un homme et une femme nus dans une chambre durant toute une nuit, et là, il y aura de l’érotisme. » Ainsi est né Nuit d’été en ville, avec Marie Trintignant et Jean-Hugues Anglade en amants fusionnels (1990).
Exigeant et précis, le cinéaste variait les formes et les registres, se jouait des conventions cinématographiques. Dans La Maladie de Sachs, adapté du livre de Martin Winckler, avec Albert Dupontel en médecin, il aborde la folie (meilleur réalisateur et meilleur scénario au Festival international de cinéma de San Sebastian en 1999). Cette année-là, Michel Deville choisit d’arrêter le cinéma, mais, en 2005, convaincu par Emmanuelle Béart, il ne peut s’empêcher d’y revenir avec un vaudeville, Un fil à la patte, de Feydeau.
En note d’intention sur le coffret de ses films sortis en DVD en 2008, le réalisateur confiait avec malice : « Tous mes films, les comédies comme d’autres plus sérieux, voire graves, ont été pour moi des jeux, avec des règles (…). Et je me suis souvent amusé à ce que ces règles soient les plus complexes possibles, pour ne pas dire les plus contraignantes, où est, sinon, le plaisir ? Serait-ce là mon côté “pervers”, mot que j’ai quelques fois lu dans la presse ? »
Michel Deville écrivait des poèmes depuis l’âge de 9 ans, il avait publié plusieurs recueils qu’il agrémentait de titres de son cru : Poèmes zinopinés, Poèmes zimpromptus, Mots en l’air, jusqu’au très direct Prends-moi (Le Cherche midi, 2014). Il se définissait comme un « bidouilleur d’images et de mots ». « La poésie est une chose sérieuse ! », disait cet homme à la mèche rebelle qui n’était peut-être pas un poète, mais un vrai amoureux, et des images et des mots.
L’inhumation de Michel Deville a eu lieu lundi 20 février à Boulogne dans la plus stricte intimité.