Le Figaro Nantes

Il y a un an, Ivan étudiait la cybersécurité sur les bancs de l’Université nationale Taras-Chevtchenko de Kiev, dans la capitale ukrainienne. Puis, la guerre a éclaté. Obligé de rentrer chez ses parents à Tcherkassy, une ville située 200 kilomètres plus au sud, il n’a pu y rester longtemps. «Ils hébergeaient déjà mes grands-parents. Il n’y avait pas assez de place. C’était trop compliqué», résume ce grand gaillard, ancien basketteur de haut niveau dans son pays. L’été dernier, il a pris la décision de rejoindre sa petite amie, réfugiée en France. Quelques jours plus tard et après un passage via la Lituanie, le voilà débarqué sur le littoral de la Loire-Atlantique, à La Turballe.

Il n’a alors que 17 ans et une volonté de fer. Son but : trouver un métier, s’intégrer et emménager avec sa copine. «Via une discussion dans un groupe de réfugiés sur Telegram, j’ai appris qu’une formation allait ouvrir. Dès que j’ai eu 18 ans, je me suis inscrit», explique-t-il. Depuis environ trois semaines, chaque jour de la semaine, il fait le trajet vers Saint-Nazaire. Dans cette commune située à une trentaine de kilomètres, il rejoint la Fab’Academy, le pôle formation de l’Union des industriels et des métiers de la métallurgie (UIMM). Tout comme dix autres réfugiés – dont deux femmes – il y est en contrat de professionnalisation d’un an. Objectif : devenir charpentier métaux ou assembleur au plan industriel comme le veut la nomenclature inhérente au secteur de la métallurgie.

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La formation suivie est loin des standards habituels en la matière. Elle est unique en son genre. «C’est du sur-mesure. Elle comprend un temps en alternance avec de la pratique mais avant cela il y a quatre mois consacrés à l’apprentissage du français», détaille Margaux Brousse, la directrice générale d’Inserim. C’est cette société d’emploi intérimaire d’insertion, basée à Nantes, qui porte le projet. Elle est d’ailleurs l’employeur des réfugiés ukrainiens investis dans la démarche. Outre l’apprentissage des mots de base, l’ingénierie pédagogique mise en place s’oriente aussi autour du vocabulaire métier. «Un formateur russophone leur apprend les mots qui leur seront utiles sur le lieu de travail. Pour cela, il utilise notamment des photos. Cela peut être lié à la navigation (bâbord, tribord), à l’outillage (chalumeau) voire un langage très technique (bordée). Le but c’est qu’ils soient crédibles auprès des partenaires industriels», précise Christophe David, conseiller formation à la Fab’Acadmy.

Après trois semaines de cours, Ivan est déjà capable de s’exprimer un peu en français, même s’il est plus à l’aise en anglais. «Ce n’est pas simple, reconnaît-il. Mais je suis prêt à travailler dur pour y arriver et m’améliorer. Surtout, je me rends compte que la langue française est intéressante.» Pour faire des progrès, il peut s’appuyer sur Aurélien, son enseignant : «Ce groupe est proactif. Au bout d’une semaine, ils étaient déjà capables de se présenter. Il y a une vraie solidarité entre eux.» Une cohésion qui réchauffe le cœur d’Ivan en cette période trouble. «Nous n’avons pas le même âge, pas le même parcours, mais nous avons tous la même envie de réussir», indique-t-il.

Dans un second temps, viendra l’apprentissage du geste. Il se fera auprès des Chantiers de l’Atlantique ou de l’un de ses sous-traitants, à savoir Atlantique Tôlerie Soudure (ATS). «Pour que le dispositif fonctionne, il faut que les entreprises soient prêtes à intégrer la diversité dans leur équipe», souligne Margaux Brousse. Les partenaires industriels semblent l’avoir entendu. «Nous avons décidé d’accompagner ces réfugiés en leur mettant à disposition un traducteur qui sera présent dans l’atelier pendant au moins deux mois», expose Bérangère Person, responsable recrutement et relations écoles aux Chantiers de l’Atlantique. Pour la société, qui a embauché «450 personnes en CDI» l’an dernier, la solution apportée par Inserim permet de compléter son champ d’action et de répondre à des «besoins importants» de main-d’œuvre pour certains métiers. C’est le cas des charpentiers métaux.

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L’autre facette du dispositif se voit moins. Elle est pourtant tout aussi cruciale. «En parallèle de la formation, il y a un accompagnement global. Nous aidons ces réfugiés pour leur demande de logement, pour obtenir un microcrédit si besoin. Nous avons aussi un partenariat avec un garage pour faciliter leur mobilité», prend comme exemple Margaux Brousse. Autre spécificité : durant toute leur formation, les élèves sont payés. «Leur rémunération est légèrement supérieure au Smic. C’est bien plus que l’aide financière apportée par les autorités», ajoute-t-elle.

Cet ensemble répond à un objectif précis : «viser une “intégration pérenne” des réfugiés ukrainiens malgré un «fort risque de décrochage» en raison de la barrière de la langue mais aussi du «déclassement» ressenti par certains depuis le déclenchement des hostilités par la Russie. Margaux Brousse cite le cas d’Igor, un ancien chef d’entreprise dans l’acier – dans l’est de l’Ukraine – recruté en contrat de professionnalisation pour devenir monteur mécanicien. Lui fait partie d’un autre groupe de douze réfugiés en train de se reconvertir depuis six mois, toujours sous la houlette d’Inserim, avec General Electric. Tous participent à la fabrication des éoliennes qui seront ensuite posées en mer pour divers projets européens.

«S’il n’y a pas d’obligation à rester en France après la formation, il y a un engagement moral. Le but est que les participants puissent se projeter durablement», mentionne Margaux Brousse. Pour l’instant, aucun des 33 réfugiés ukrainiens investis auprès de General Electric ou des Chantiers de l’Atlantique et ATS n’a décroché. Un bon indicateur selon la directrice générale d’Inserim. Ivan, lui, se projette un peu en France : «Je veux rester ici pour le moment. C’est un pays dans lequel il y a beaucoup d’opportunités. Quand la guerre s’arrêtera, peut-être que je rentrerai.» En attendant, il va continuer d’écrire chaque jour des messages à ses parents restés aux pays. L’occasion pour lui de leur expliquer sa nouvelle vie dans l’univers de la métallurgie.

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