Cet article est extrait du Figaro Hors-série Vermeer, peindre le silence. Dans ce numéro spécial, découvrez le Siècle d’or hollandais, la vie et l’œuvre du prodige de Delft, à l’occasion de la plus grande rétrospective jamais organisée sur Vermeer, au Rijksmuseum d’Amsterdam.
Vermeer ! Son destin a l’air d’un enchantement. Il naît d’on ne sait quelle aube, son ciel est plein d’étoiles à toute heure du jour et ses visages de femmes traversent ses contre-jours. Elles glissent dans son œuvre, des unes aux autres, s’éloignent, s’éteignent, renaissent ailleurs, confondues en une seule. Elles sont omniprésentes dans sa peinture. Elles ont le premier rôle. Sauf dans deux tableaux : L’Astronome (1668) et Le Géographe (1669). Malgré une différence de trois centimètres en hauteur, ces deux toiles ont peut-être formé les pendants d’un ensemble. En tout cas, elles représentent le même personnage masculin, seul, dans un décor à peu près identique.
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L’astronome, vêtu d’une robe d’intérieur, est assis de profil devant sa table couverte d’un tapis à ramages comme celui de La Dentellière. En face de lui, une fenêtre fermée, à vitrail armorié. Dans cet intérieur qui ne s’éloigne guère de ceux que Vermeer à l’habitude de peindre, une clarté feutrée préserve la pénombre, enveloppe d’un halo d’attente et de mystère le savant posant sa main droite sur un globe céleste. Sur la table, en pleine lumière, un livre ouvert et un compas de cuivre. Dans le fond gauche de la pièce, se dresse, en ombre massive, une armoire étroite et profonde. Sur le panneau supérieur du meuble, est accroché un planisphère avec des cadrans et des aiguilles marquant des angles. Mais ce n’est pas cela qui retient l’attention des historiens. Ce qui les intrigue et les oppose se trouve sur le panneau central de l’armoire : une date, 1668, et une signature, IVMeer. La date et la signature ont-elles été apposées par la main de Vermeer ? Il y a les pour, il y a les contre. Ils en discutent toujours. Et pour longtemps encore. Au mur, sur la droite de la pièce, est accroché un tableau, Moïse sauvé des eaux, qui figurera dans la Femme écrivant une lettre et sa servante. Moïse qui guida les Juifs et les conduisit vers la Terre promise. Est-ce une valeur de symbole pour le spectateur hollandais qui considérait les Provinces-Unies comme un nouvel Israël ? Cette peinture n’exalte pas la révolution copernicienne. Elle n’évoque pas non plus les grandes découvertes et les progrès de la science. Elle n’est pas l’éloge caché de Huygens, découvreur d’un satellite de Saturne.
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Vermeer est un homme d’intérieur, ne bougeant guère de sa maison, préférant à tout l’intimité des murs, les rêves, les secrets qu’ils renferment. Dans cette pièce close, totalement fermée sur l’extérieur, repliée sur elle-même, où la lumière du jour s’introduit, prudente, en effraction, tout l’univers se concentre sur le globe céleste. Cette méditation chromatique déroule son ordonnance scrupuleuse comme un prélude wagnérien d’un opéra qui ne sera jamais joué. Pour Vermeer, l’essentiel n’est pas de décrire le monde mais de suggérer un univers, hors du temps et de l’histoire. Dans ce clair-obscur, maintenu tout au long de ce monologue pictural par la magie des images et l’envoûtement d’un style précis, le peintre entretient un climat de mystère et de suspense. C’est un nouveau temps poétique. Celui de l’intuition, visitée par un état de grâce. Ce nouveau temps, cette heure magique, nous les retrouvons dans l’autre tableau, Le Géographe, où se détachent distinctement sur le mur la date – 1669 – et la signature de Vermeer. Cette fois, les historiens sont d’accord : elles sont authentiques. Une restauration de l’œuvre l’a confirmé. Et voici le même homme que celui de L’Astronome, dans la même pièce, avec le même mobilier, la même fenêtre fermée. Le géographe porte la même robe d’intérieur que celle qu’avait revêtue l’astronome. Mais qui est donc ce mystérieux personnage ? Les experts se sont précipités sur cette nouvelle énigme. Sans pour autant la résoudre. On a supposé qu’il s’agissait d’un autoportrait, d’autres ont cru reconnaître le naturaliste Van Leeuwenhoek, d’autres, enfin, Spinoza. Rien n’est assuré. Là encore, Vermeer garde le silence dans la perfection d’un accord amené par mille symphonies chromatiques. Dans la confidence d’un secret qu’il ne faut pas révéler.
Vermeer, peindre le silence 164 pages, 13,90€, disponible en kiosque et sur Le Figaro Store .
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