Sera-t-il possible de mettre fin au VIH d’ici 2030, comme l’ambitionne l’association Onusida ? Quarante ans de recherches sur le VIH ont permis d’avancer, notamment sur les traitements de trithérapie, qui évitent la dernière phase de l’infection nommée Sida, puis plus récemment sur la Prep, traitement préventif qui empêche l’infection en cas d’exposition. Mais le chemin à parcourir reste long pour véritablement venir à bout de la maladie. «On continue à s’intéresser à la réplication du virus et à comprendre comment certaines personnes porteuses échappent à la pathologie du VIH. On espère que ces travaux permettront de résoudre certains aspects de l’infection, notamment face à l’échec du vaccin ces dernières années», déclare Christophe d’Enfert, directeur scientifique de l’Institut Pasteur, qui accueille 3 jours de conférences sur le VIH du 29 novembre au 1er décembre. Où en sont les travaux de recherche fondamentale, clinique et sociale ? Le Figaro fait le point.
Face au VIH, les cellules de l’organisme se défendent à l’aide de protéines qui «combattent le virus en inhibant sa fusion à la cellule hôte», explique Michaela Müller-Trutwin, responsable de l’unité HIV, inflammation et persistance à l’Institut Pasteur et présidente de l’action coordonnée sur la recherche fondamentale et translationnelle du VIH pour l’ANRS MIE. «Ces protéines fonctionnent contre plusieurs virus, comme le Sars-CoV-2 et le VIH.» La recherche sur ces protéines permettra peut-être de développer des médicaments pour limiter la capacité du VIH à fusionner avec les cellules, donc d’y déverser son patrimoine génétique et d’infecter tout l’organisme.
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Le VIH est un virus dit «à ARN»: son patrimoine génétique est porté par l’acide ribonucléique, une molécule très proche chimiquement de l’ADN (acide désoxyribonucléique). Lorsque les cellules cibles du VIH (lymphocytes TCD4 et macrophages) sont infectées, l’ARN du virus y est «rétrotranscrit» en ADN, ce qui permet au virus d’utiliser la machinerie cellulaire pour se répliquer. On sait depuis peu que cette étape a lieu dans le noyau cellulaire, une «usine de réplication de l’ARN», commente Michaela Müller-Trutwin. Un champ de recherche s’ouvre donc sur cette étape si particulière d’une infection virale: empêcher la rétrotranscription directement dans les noyaux des cellules infectées permettrait de bloquer la réplication du VIH.
Un grand nombre de cellules infectées se logent dans l’intestin. Or il contient une population de micro-organismes, le microbiote intestinal, probablement impliqué dans l’infection par le VIH. «On soupçonne le microbiote d’avoir un rôle mais il est difficile de comprendre ce dernier», rappelle Asier Sáez-Cirión, directeur et responsable de l’unité réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur et président du comité scientifique et médical de Sidaction. «On sait qu’il y a clairement un impact des composés produits par les bactéries. On sait que le métabolisme de la personne va avoir un impact sur les réservoirs, mais le lien n’est pas clairement établi. Les expériences sur des souris avec ou sans microbiote sont en cours pour déterminer le rôle du microbiote sur l’acquisition du virus et la pathogénicité.»
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Pour se défendre, notre organisme possède deux lignes de défenses cellulaires, l’immunité innée, rapide mais peu spécifique, et l’immunité adaptative, plus lente car elle demande de maturer les lymphocytes, mais plus spécifique. La recherche s’intéresse à des cellules de l’immunité innée rapide, les cellules tueuses naturelles (ou «NK», pour «natural killer») qui agissent rapidement sur les cellules infectées et sont capables d’aller dans les réservoirs à VIH difficilement accessibles par les traitements disponibles. La recherche vise à fabriquer un vaccin capable de mobiliser ces NK pour prévenir une infection par le VIH et cibler les réservoirs. Mais Michaela Müller-Trutwin précise que « les cellules tueuses naturelles vont au contact de ces lymphocytes CD4 infectés pour les tuer s’ils produisent des virus, mais elles ne pourront pas reconnaître une cellule infectée ne produisant pas de VIH ». La stratégie des NK ne pourra pas limiter les infections à elle seule, mais combinée à une trithérapie ou à de futures thérapies géniques, elle pourrait s’avérer efficace.
Seuls cinq cas de guérison complète sont recensés dans le monde. Il s’agit toujours de patients ayant bénéficié d’une greffe de moelle (pour une autre pathologie). Hormis ces exceptions, on parle plutôt de rémission de l’infection par le VIH, c’est-à-dire qu’il reste peut-être un peu de virus présents dans l’organisme mais que le taux est contrôlé, sans aucun médicament. Quant aux personnes traitées par trithérapie, elles ont maintenant des taux de VIH dans le sang indétectables et ne transmettent plus le virus, mais elles ne peuvent pas s’en débarrasser complètement. Le VIH perdure dans les cellules hôtes dites «réservoirs», les macrophages et les ganglions. Des essais de thérapie géniques sont en cours pour tenter d’y rendre les cellules résistantes à l’infection ou y empêcher la réplication du virus.
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Une équipe de l’hôpital Rockefeller de New York utilise des anticorps neutralisants à large spectre naturellement fabriqués par quelques rares patients. Aujourd’hui, «30 personnes sont en rémission du VIH avec cette technique des anticorps neutralisants», annonce Asier Sáez-Cirión. Néanmoins Michaela Müller-Trutwin précise qu’«on sait les fabriquer en laboratoire mais on ne sait pas induire leur fabrication chez un patient». Autre limite : il faut injecter une concentration élevée pour être efficace.
Le virus du VIH mute beaucoup, bien davantage que le virus du Covid, et de nombreux variants existent. Les antigènes présents à sa surface, qui sont ciblés par les anticorps, changent donc beaucoup, ce qui ne facilite pas leur identification. Cette variabilité empêche actuellement de fabriquer un vaccin qui soit efficace sur l’ensemble des virus existants, témoigne Michaela Müller-Trutwin. Beaucoup d’essais de phases I et II ont fonctionné, mais les phases III, qui testent la véritable efficacité des produits pharmaceutiques sur un grand nombre de patients, ont échoué. Cependant, les recherches sur un vaccin à ARN messager contre le VIH n’ont pas été vaines: elles ont notamment permis le développement ultrarapide du vaccin contre le Covid. Les recherches d’un vaccin antisida se tournent désormais vers des vaccins à ARN messagers, capables de stimuler la production d’anticorps neutralisants.