Il y a 20 ans, Bertrand Cantat, chanteur star du groupe Noir Désir, chouchou de la critique et du public, commettait l’irréparable en frappant à mort sa compagne Marie Trintignant dans une chambre d’hôtel de Vilnius. La journaliste Anne-Sophie Jahn rouvre le dossier avec une enquête d’une rigueur irréprochable, Désir Noir. En partant elle-même sur les traces du drame, elle a remonté le fil d’une sombre affaire. Elle démontre, au fil d’une construction implacable, que la mort de la jeune femme n’était pas un accident. Et prouve que tout l’entourage du chanteur, autant professionnel que personnel, s’était ligué pour le protéger en déclarant qu’il n’était pas un homme violent alors qu’il avait notoirement frappé plusieurs de ses compagnes.
Le mensonge, savamment orchestré, devait permettre d’alléger sa peine de prison. Si la récidive avait été prouvée, l’homme serait resté bien plus longtemps sous les verrous. L’autrice a retrouvé les comptes rendus et déclarations de l’époque. Kristina Rady, épouse de Bertrand Cantat au moment du drame et mère de ses enfants, a déployé une énergie colossale pour prouver que son mari n’avait jamais été violent, alors qu’elle avait elle-même déjà subi ses assauts de violence. En 2010, après avoir renoué avec lui, Kristina Rady s’était suicidée à leur domicile. Quelques semaines auparavant, elle avait confié sa détresse à ses parents.
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Anne-Sophie Jahn a également retrouvé l’homme auprès duquel Kristina s’était beaucoup confiée, et avec lequel elle avait vécu une relation amoureuse. Celui-ci confirme la brutalité du traitement de Cantat vis-à-vis de son épouse.
Surtout, Anne-Sophie Jahn s’interroge sur la manière dont aurait été traitée l’affaire si elle s’était produite aujourd’hui, après le tournant Me Too. L’homme a certainement bénéficié d’une bienveillance malsaine, affirme-t-elle. Devenu le symbole des violences faites aux femmes, le chanteur a été d’une indécence crasse. On découvre, effarés, les propos peu amènes tenus par son frère Xavier au sujet de la défunte. «Sa béatification orchestrée sous les auspices du microcosme cinématographique, milieu dont on connaît les turpitudes, est indigne», avait-il affirmé après l’enterrement de Marie Trintignant.
Et on revit les dérives d’un homme, qui, en pleurnichant à longueur d’interviews exclusives, avait fini par dégoûter bon nombre de ses anciens admirateurs. L’évocation de son dernier Zénith à Paris en 2018, rappelle le mélange d’indécence et de rancœur qui anime Bertrand Cantat. «Merci d’être là malgré les intimidations, la censure et les saloperies que j’ai subies», avait-il lancé. On en a encore froid dans le dos. Courageux et juste, le livre d’Anne-Sophie Jahn clôt le sujet.