Dans les traces de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron effectue son deuxième voyage en Chine depuis qu’il est président de la République française. Sur un ton volontiers gaullien, l’Élysée a évoqué Pékin comme un acteur «incontournable» face aux nombreux défis du monde, à commencer par la guerre en Ukraine que la position chinoise peut, selon Paris, faire «basculer».

Et si «la Chine est le seul pays au monde en mesure d’avoir un impact immédiat et radical sur le conflit, dans un sens ou dans l’autre», a aussi estimé l’Élysée, la France est vue, côté chinois, comme un éventuel médiateur avec les États-Unis. Les relations entre la France et la Chine ont varié depuis la reconnaissance officielle de la République populaire de Chine par le général De Gaulle en 1964, mais les visites successives des présidents français ont presque toujours suscité beaucoup d’attente. Le Figaro revient sur ces voyages emblématiques des chefs d’État français en Chine.

En 1964, le général De Gaulle décide de mettre un terme à la politique du cordon sanitaire autour du régime politique et reconnaît la République populaire de Chine au détriment de Formose, une première pour les puissances occidentales, entamant un virage diplomatique historique. Cette reconnaissance est le fruit d’un mûrissement et d’un travail dans lequel intervient un voyage officieux du sénateur et ancien président du Conseil Edgar Faure un an auparavant, envoyé en mission pour jeter les bases des nouvelles relations entre les deux pays.

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De Gaulle est en revanche le seul président français à ne s’être jamais rendu en Chine. «Il projetait sans doute d’y aller mais la conjoncture chinoise, avec la révolution culturelle, met le pays à feu et à sang», explique Emmanuel Lincot, chercheur associé à l’Iris et professeur à l’Institut catholique de Paris. «De Gaulle a finalement raison trop tôt et ne récolte pas les fruits de son choix politique, trop précoce». Et paradoxalement, s’il n’y a jamais mis les pieds, c’était peut-être le président qui avait le mieux compris la Chine, selon le sinologue. «De Gaulle avait lu les auteurs de la pensée chinoise classique, et comprenait bien la manière chinoise très intuitive et expérimentale de faire de la politique».

Il faut attendre 1973 pour le premier voyage officiel d’un chef d’État français en Chine. Deux ans après la mort du général De Gaulle, Georges Pompidou est accueilli avec tous les honneurs que les Chinois réservaient à son prédécesseur. Mais ce déplacement intervient peu de temps après le voyage emblématique et médiatique de Richard Nixon qui marque le début de la normalisation des relations sino-américaines, et passe donc au second plan. Malgré tout, la visite est l’occasion d’un vrai rapprochement entre les deux pays avec notamment des choix de coopération stratégique, notamment sur le nucléaire civil. «1973 est une amorce dans le rapprochement économique et stratégique des deux pays», rapporte Emmanuel Lincot.

Si la présidence de Valéry Giscard d’Estaing est dans la continuité des précédentes sur la relation franco-chinoise, la Chine développe à cette époque «une immense activité sur le plan international qui se traduit par un nombre impressionnant de rencontres, de visites à Pékin, de voyages chinois à travers le monde», note Le Figaro à l’occasion du voyage de «VGE» en 1980.

La France, membre du Conseil de sécurité de l’ONU, rejointe par la Chine en 1971, reste un interlocuteur primordial pour Pékin. Valéry Giscard d’Estaing reste convaincu que le Chine doit «jouer un rôle important» dans le concert des nations. Et les deux pays se rejoignent dans leur vision d’un monde multipolaire, affranchi de la politique des blocs.

Le nouveau tournant des relations franco-chinoises intervient sous la présidence de François Mitterrand qui se rend à Pékin deux ans après son élection, en 1983. Lors de ce déplacement, qui n’est pas le premier puisque le dirigeant socialiste s’y était déjà rendu en tant que candidat à l’élection présidentielle mais aussi à l’occasion d’un voyage d’étude après lequel il publia un livre, le président français affiche une volonté de rapprochement économique et culturel avec le régime communiste.

Mais ce premier septennat tourné vers la Chine sera contrecarré par la forte condamnation de Mitterrand des événements de Tian’anmen en 1989. «Un régime qui tire sur sa jeunesse n’a pas d’avenir», avait-il déclaré, provoquant un séisme dans les relations diplomatiques. En parallèle, le président français élabore des partenariats stratégiques avec Taïwan, comme la vente de mirages 2000, qui avait d’ailleurs suscité l’intérêt de Pékin lors du voyage de 1983. En définitive, en se rapprochant de la République de Chine à Taïwan, sans toutefois la reconnaître, «Mitterrand a écorné le mythe de la reconnaissance gaullienne», tranche Emmanuel Lincot.

À l’inverse du président socialiste, Jacques Chirac prend la mesure de l’évolution de la Chine vers un statut de grande puissance. Réaffirmant dans une déclaration commune lors d’une visite à Pékin la volonté de construire un monde multipolaire, la France investit énormément dans les relations franco-chinoise, «au-delà même des espérances chinoises», note Emmanuel Lincot. «La France effectue des transferts de technologies comme le fameux laboratoire P4 de Wuhan – à l’issue de voyage officiel de 2004 – dont on peut s’interroger sur les contreparties», relève le chercheur.

Surtout, au-delà des intérêts d’un rapprochement économique et diplomatique, Jacques Chirac est un vrai sinophile reconnu. «Il aimait beaucoup les arts asiatiques et avait un intérêt sincère pour la Chine éternelle, pour le dire d’une manière gaullienne», note Emmanuel Lincot. «Il y avait aussi de l’affection entre Chirac et Jiang Zemin, même si celui-ci était plus froid, plus soviétique dans le style». Le président français effectue trois voyages officiels en Chine.

Tout comme Jacques Chirac, l’ancien ministre de l’Intérieur et nouveau président de la République Nicolas Sarkozy se rend à trois reprises en Chine, mais cette fois-ci en l’espace de cinq années de présidence. Et prenant le contre-pied de celui-ci, les relations entre la France et la Chine se dégradent subitement sous la présidence Sarkozy, avec une année noire en 2008. Après la condamnation de la répression chinoise au Tibet par le président français, les incidents autour de l’organisation décriée en France des Jeux olympiques d’été à Pékin, ou encore la rencontre surprise du chef de l’État avec le dalaï-lama en Pologne, la diplomatie française doit développer des trésors de diplomatie pour retrouver une relation sereine avec le géant chinois. Après un premier voyage officiel en 2007, Sarkozy retourne en Chine en 2010 pour sceller la réconciliation.

François Hollande, de son côté, effectue deux visites d’État durant son mandat, en 2013 et en 2015. Emmanuel Macron lui emboîte le pas en arrivant en Chine ce mercredi pour la deuxième fois. «Avec Emmanuel Macron, il y a une accélération dans les deux sens, explique Emmanuel Lincot. Il a conscience de la dangerosité de la Chine et de la difficulté à coopérer dans un climat de défiance stratégique, et en même temps, il sait que nous n’avons pas les moyens d’un découplage économique, et de se mettre à dos la Chine, en plus de la Russie».

Alors qu’un parfum de guerre froide enveloppe la compétition entre la Chine et les États-Unis, les Français assument de porter une «autre voie», moins hostile que les Américains, dans la relation avec le géant asiatique. Le président français doit séjourner trois jours à Pékin et à Canton.