Faut-il jeter à la poubelle nos vieilles casseroles, cocotes et poêles portant un revêtement antiadhésif ? Les PFAS (substances perfluroalkylées et polyfluoroalkylées), largement utilisées depuis les années 1950 dans divers domaines comme les revêtements antiadhésifs, les cosmétiques, les textiles, les emballages alimentaires, les mousses anti-incendie ou les produits phytosanitaires, font partie des « produits chimiques éternels ». Parmi eux, le PFOA (acide perfluorooctanoïque, essentiellement utilisé dans la fabrication du Teflon), interdit en Europe depuis 2020, vient d’être classé comme cancérogène par le CIRC (centre international de recherche sur le cancer). Faut-il renouveler nos batteries de cuisines? Le problème est-il plus complexe qu’un simple changement de casseroles?
«Le PFOA représente à la fois un enjeu pour l’environnement et pour la santé publique, explique au Figaro le ministère de la transition écologique . Il pourrait être conseillé de remplacer certains articles de consommation courante s’ils sont anciens ou dégradés, comme les poêles ou les textiles déperlants, au profit d’alternatives sans PFAS.» Mais que veut dire «ancien» ou «dégradé»? Sans doute bien plus que vous ne le pensez, selon les fabricants et revendeurs: pour la durée de vie d’une poêle antiadhésive, Téfal annonce 2 à 3 ans sur son site internet, De Buyer indique qu’il faut s’en débarrasser lorsque les aliments commencent à accrocher. Néanmoins, tous sont d’accord sur un point (que, là encore, probablement peu d’entre nous respectent): ces poêles et casseroles ne doivent être utilisées qu’à feu faible et moyen.
En 2022, le magazine 60 millions de consommateurs a réalisé une expérience sur des poêles avec un antiadhésif ayant subi une faible abrasion afin de simuler 10 semaines d’usage. Un aliment y a été cuit, puis analysé. Résultat: certaines poêles semblent plus susceptibles de libérer des PFOA que d’autres. Et la mention «sans PFOA» n’est pas une garantie : certains aliments cuits dans des ustensiles qui arboraient cette mention en contenaient, mais en quantité très faible, et sans que l’étude permette de statuer sur leur origine (ils peuvent aussi provenir de l’emballage de l’aliment). Précisons que l’analyse révélait aussi la présence d’autres composés fluorés problématiques.
Fin novembre, un article dans la revue The Lancet indiquait que PFOA et PFOS (acide perfluorooctanesulfonique, utilisé pour traiter des textiles et des papiers à contact alimentaire) «sont détectés dans des échantillons de sang dans les populations étudiées dans le monde entier, et les niveaux médians sont jusqu’à cent fois plus élevés dans les communautés proches des sites pollués». Ces deux molécules «s’accumulent dans divers tissus, notamment le sang, le foie et les poumons. On les trouve dans le placenta, le sang de cordon et les tissus embryonnaires et elles peuvent être transférées aux nourrissons via le lait maternel.» Et il faut du temps pour s’en débarrasser: leur demi-vie (temps nécessaire pour que leur activité diminue de moitié) peut être de plusieurs années chez l’humain. Est-ce inquiétant?
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L’article paru dans The Lancet précise que les preuves que le PFOA provoque des cancers chez les animaux de laboratoire et les humains exposés sont «suffisantes». Le PFOA entraîne des immunosuppressions et des altérations épigénétiques. Ainsi 30 experts internationaux de 11 pays se sont réunis du 7 au 14 novembre 2023 au CIRC (centre international de recherche sur le cancer) à Lyon, afin d’évaluer le PFOA, le PFOS et leurs dérivés (sels et isomères). Après l’analyse des résultats de différentes études scientifiques indépendantes, le CIRC a annoncé que «le groupe de travail a classé le PFOA comme “cancérogène pour l’homme” (Groupe 1) et le PFOS comme “peut-être cancérogène pour l’homme” (Groupe 2B)». Pour autant, tout est toujours une question de dose, et même si la substance est dangereuse, difficile de savoir à partir de quels seuils le risque apparaît.
A-t-on trop attendu pour interdire ces composés ? Les PFAS sont des molécules qui contiennent l’élément fluor, à la fois hydrophobes et lipophobes (elles «repoussent» l’eau comme l’huile), avec une grande stabilité chimique. Ces caractéristiques confèrent aux objets des propriétés antiadhésives, imperméabilisantes, résistantes aux fortes chaleurs, ce qui a expliqué leur succès. Mais dès 2009, les PFAS faisaient partie de la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants nommée «règlement POP». Le PFOS a été interdit dès 2009, puis le PFOA en juillet 2020, et le PFHxS (acide perfluorohexanesulfonique) en juin 2022. Le ministère de la transition écologique français a publié le 17 janvier 2023 un plan d’action sur les PFAS.
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Leur interdiction ne suffira pas à nous en protéger, car ils persistent très longtemps dans l’environnement. Selon l’article du Lancet, «la population générale est principalement exposée au PFOA et au PFOS via l’alimentation et l’eau potable, et potentiellement via les produits de consommation». L’exposition ne se limite donc pas à nos ustensiles de cuisine. De plus le CIRC précise que «les expositions devraient être les plus élevées parmi les travailleurs impliqués dans la production de PFOA et de PFOS ou qui utilisent ces produits chimiques directement dans la fabrication d’autres produits», ainsi que dans l’élimination des déchets. Le ministère de la transition écologique travaille avec l’Europe sur l’interdiction des PFAS dangereux et il «appelle à un niveau accru de vigilance et d’action», notamment dans le suivi de ces espèces chimiques chez l’être humain (campagne de biosurveillance Esteban) et dans les milieux aquatiques (programmes Naïades). «Le gouvernement a également demandé à l’Anses de définir de nouvelles valeurs de référence sanitaires pour ces molécules, ou de revoir les valeurs existantes», précise le ministère de la transition écologique.