Drame de Thomas Bidegain, 1h50
Dans l’Antarctique, les îles ont souvent le défaut d’être désertes. Cela a son charme. Cependant, les inconvénients sont nombreux. Il ne s’agit pas d’y faire naufrage. Ben et Laura l’apprennent à leurs dépens. Une tempête fait disparaître leur bateau. Ils étaient allés visiter ce gros caillou planté au milieu de la mer et la météo s’est déchaînée. Leur tour du monde à la voile est compromis. Les voilà sur la terre ferme avec leur pauvre canot pneumatique à moteur, soudain obligés de s’abriter dans les ruines d’une ancienne station baleinière. Le couple a intérêt à rester soudé. Ils ont froid. Ils ont faim. Ils ont peur. Pas de radio. Il leur faudrait tenir dix jours, maximum. Sans nouvelles d’eux, le frère du mari s’inquiétera, préviendra les secours. L’homme joue les rassurants. La femme est plus nerveuse. Le sable est gris, le ciel lourd. Ils le guettent dans l’espoir d’y découvrir l’hélicoptère qui les sauvera. Ben se souvient sans doute de ses lectures d’enfant, parvient à allumer un feu en frottant deux bâtons, comme dans le Manuel des Castors juniors. Ils se nourrissent de coquillages. Leurs repas copient malgré eux les menus d’un restaurant scandinave étoilé. Un semblant de vie domestique s’installe. Évidemment, ils s’engueulent. Cela occupe. De sourdes rancœurs remontent à la surface. Ça n’est pas tout ça. Si on dessinait sur le sol un gigantesque SOS avec des planches, histoire de signaler leur présence à un improbable avion ? Soudain seuls, inspiré d’un roman d’Isabelle Autissier, a quelque chose d’assez physique. N’en déplaise à Sandrine Rousseau, la nature a le don de se transformer en ennemie. Les intempéries se succèdent. L’hiver s’annonce. Qu’y a-t-il de l’autre côté de la montagne ? Le temps s’étire. La folie risque de gagner du terrain. Gilles Lellouche et Mélanie Thierry plongent dans leur personnage avec une intensité, une ferveur qui forcent l’admiration. Visiblement, ils en ont bavé. C’est pour le bien du film. Au bout d’un moment, les rôles s’inversent. Cette survie est très cinématographique. É.N.
À lire aussiNotre critique de Soudain seuls: l’impossibilité d’une île
Drame en trois épisodes de Satyajit Ray
En 1955, Satyajit Ray réalise son premier film, La Complainte du sentier, loin des canons de Bollywood, avec la musique de Ravi Shankar. Le premier volet d’une trilogie (suivront L’Invaincu et Le Monde d’Apu), chronique d’Apu, enfant pauvre du Bengale devenu adulte à Calcutta. Films de chevet de Wes Anderson – le cinéaste texan a partagé son amour pour Ray au dernier Festival Lumière, ces œuvres retrouvent leur splendeur dans une version restaurée. À redécouvrir en salle ou en coffret vidéo chez Carlotta. É.S.
Drame de Babak Jalali,1h3
Prix du jury inspiré, Fremont a offert, en septembre dernier, au Festival de Deauville une précieuse parenthèse poétique et absurde. Proche de San Francisco, cette localité concentre la plus grosse population afghane des États-Unis. C’est là que s’est installée Donya. Ex-traductrice pour l’armée américaine, la jeune femme a fui Kaboul, reconquise par les talibans en 2021. Le jour, elle travaille dans une usine de biscuits chinois, ces fameux « fortune cookies » : deux gaufrettes superposées qui renferment un message d’encouragement. La nuit, elle se retourne dans son lit, incapable de trouver le sommeil. Lorsque son patron lui propose de rédiger les maximes de gâteau, Donya prend le taureau de la solitude par les cornes et glisse sur un des papiers son numéro de téléphone. Qui sait dans quelles mains il atterrira ? S’enclenche une réaction en chaîne de rencontres : un mécanicien taiseux, un psy fan de Croc-Blanc… Un élégant et mélancolique écrin noir et blanc accentue le flottement existentiel dans lequel baigne cette héroïne, déracinée dans ce nouveau pays d’adoption. Si Donya est une femme, c’est parce que Babak Jalali voulait donner une autre image des Afghanes que celle de victimes. Hors de question de faire un drame social. Babak Jalali restitue avec éclat la nature cosmopolite de Fremont, où cohabitent communautés latino, indienne et asiatique. C.J.
À lire aussiNotre critique de Fremont: tout kaboul dans un «fortune cookie»
Drame d’Alice Rohrwarcher, 14h
Alice Rohrwacher, 41 ans, est le chouchou du Festival de Cannes. En 2011, son premier film, Corpo Celeste, est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs. La cinéaste italienne est revenue avec ses longs-métrages suivants et elle a à chaque fois été récompensée : Les Merveilles (grand prix en 2014) et Heureux comme Lazzaro (prix du scénario en 2018). Elle est invitée ces jours-ci au Centre Pompidou, qui lui consacre une rétrospective au titre évocateur : « Rêver entre les mondes ». On ne sait pas très bien ce que ça signifie. Tout comme son cinéma, mélange de mythologie et de modernité dans un style hippie chic. Son nouveau film, La Chimère, en compétition à Cannes mais reparti sans prix, est dans la même veine. Il brouille le temps et l’espace à partir d’un réseau de trafiquants d’antiquités étrusques dans la Toscane des années 1980. Il est pourtant moins pénible que les précédents. Cela tient en partie au charme de Josh O’Connor (le prince Charles dans les saisons 3 et 4 de The Crown), émouvant en archéologue britannique amoureux de l’amour. É.S.
Lodge Drame Ly, 1h4
Les plans aériens révèlent un îlot de barres longilignes, avant de plonger sur l’une d’elles, un immeuble monumental posé sur une chape de béton dans une cité qui rappelle les autres. Il s’agit du bâtiment 5, centre névralgique éponyme du nouveau film de Ladj Ly. Un drone et une banlieue grise : dès l’ouverture, le réalisateur nous renvoie à son premier film, Les Misérables, prix du jury au Festival de Cannes et 4 César dont celui du meilleur film. Le décor n’a pas changé, la thématique nourrie par les tensions sociales non plus, mais après les bavures policières, il dénonce la crise du logement et l’expropriation qui oblige les habitants à vendre leur habitation à un prix dérisoire pour déménager plus loin. Haby, résidente du bâtiment 5, comme son meilleur ami, Blaz, en fait partie. Militante engagée, elle découvre par hasard à la mairie où elle est en stage un nouveau plan de réaménagement du quartier en leur défaveur. Pour combattre ce projet défendu par le maire intérimaire, elle candidate aux prochaines municipales. Ce nouveau film de Ladj Ly était attendu, mais l’onde de choc espérée n’a malheureusement pas lieu. Là où Les Misérables bousculait avec une réalisation quasi-documentaire provoquant un sentiment d’urgence à vif, Bâtiment 5 convainc moins avec ses ficelles narratives plus grossières. Le personnage du maire, médecin pédiatre propulsé au poste après le décès de son prédécesseur, en est la plus triste illustration. Impulsif, il prend des décisions immédiates et radicales, et reste obtus face au désarroi des habitants. Cette caricature de l’homme politique manque de nuances pour être crédible et dénoncer la déconnexion effective de certains élus face à leurs électeurs comme le réalisateur semble vouloir le faire. Restent quelques magnifiques scènes, frappantes et maîtrisées, dont celle d’un déménagement orchestré dans le chaos, avec toute une vie balancée à travers les fenêtres en quelques heures. Témoin en alerte, Ladj Ly soulève des problématiques essentielles d’une actualité brûlante qui ne peuvent que nous interpeller. Mais le bâtiment 5 n’est pas un numéro, il y a des êtres humains. Mieux dessinés, ces portraits auraient fait résonner avec d’autant plus de force cette charge politique et sociale d’une banlieue en pleine mutation. Dommage. V.B