Alors que la France agricole se rapproche du mur démographique qui mènera 40 % de ses effectifs à l’âge de la retraite d’ici dix ans, l’heure est à soutenir tous les projets de reprise sérieux. C’est un des principaux messages de la Cour des comptes qu’elle livre dans un rapport dévoilé ce mercredi sur la politique de soutien à l’installation en agriculture en France. Dans cet état des lieux fouillé, l’institution pointe un travers des dispositifs d’aides publiques: celui de laisser sur le bord du chemin une partie de la relève agricole, celle ne répondant pas ou plus aux critères d’âge des aides à l’installation.

C’est le cas des candidats de plus de 40 ans, qui ne peuvent prétendre à l’un des subsides les plus connus: la dotation jeune agriculteur (DJA), qui s’adresse aux aspirants paysans de 18 à 40 ans. Ce critère laisse aujourd’hui de côté un nouvel installé sur trois «en général des candidats extérieurs au parcours agricole classique, certains en reconversion professionnelle», détaille le rapport. De fait, le profil des quelque 14.000 néopaysans qui lancent ou reprennent une activité agricole chaque année a sensiblement évolué depuis une décennie.

Si deux sur trois ont déjà exercé une activité agricole ou ont des parents eux-mêmes agriculteurs, les urbains reconvertis, les femmes ou des actifs ayant déjà largement entamé leur carrière viennent aussi de plus en plus compléter les rangs. «C’est une population intéressante, qui ne doit pas être négligée. Ils possèdent des idées novatrices et souvent des fonds propres. Il faut donc adapter les soutiens à la diversité des agricultures et des profils» a estimé Pierre Moscovici, le premier président de la Cour des comptes, en présentant le rapport.

À lire aussiFrançois Purseigle: «Aujourd’hui, le métier d’agriculteur se choisit»

Avec près de 520 millions d’euros de fonds publics (français ou européens) dont 170 millions rien que pour la DJA, «ce n’est pas une question de moyens, mais bien de nécessaire rééquilibrage des aides qui ne fonctionnent pas de manière optimale», ajoute le premier président. Parmi les pistes de réflexion: celle d’allouer une partie de l’enveloppe destinée aux plus jeunes à ces nouveaux profils agricoles. Le transfert apparaît d’autant plus aisé qu’actuellement 50 % des nouveaux installés n’a pas sollicité la dotation jeune agriculteur. «Peut-être car sur certains projets onéreux, comme en viticulture où le coût d’installation est énorme, elle ne pèse pas grand-chose», détaille Annie Podeur, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes.

Autre constat dressé par les sages de la rue Cambon: les transmissions de fermes ne sont pas bien anticipées. Ainsi, près de 60 % des surfaces agricoles transmissibles dans les sept ans en France n’ont pas de repreneur déjà identifié. Un blocage que les rapporteurs expliquent notamment par un déficit en matière d’identification et de recensement des vendeurs, qui sont pourtant 20 000 à quitter les rangs agricoles tous les ans. Il y a une petite décennie, la loi d’avenir pour l’agriculture avait créé un Observatoire national pour l’installation transmission (Onit). Mais ilconviendrait «d’articuler sa mission avec des observatoires régionaux», estiment les rapporteurs de la Cour des comptes.

Le sujet est crucial, car au-delà de la transaction financière pure et dure, les milliers de cessions à venir en France doivent être l’occasion d’accélérer la transition du modèle agricole. Ne serait-ce que pour s’adapter au changement climatique et aux sécheresses récurrentes, qui devraient amenuiser les ressources en eau de 10 à 40 % d’ici 2050. Or, cet effort sur les futurs modèles agricoles reste freiné par un point: les transactions de fermes restent marquées par uneforme d’opacité. Les cessions passent par des Safer (sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural), qui sont régulièrement attaquées pour leur manque de transparence. «Il serait souhaitable que les biens à céder ne soient pas rendus publics une fois que l’affaire est déjà conclue», ont précisé les rapporteurs. Difficile dans ces conditions de contrôler que les projets de reprise sont innovants ou vertueux.

Alors que la compétitivité de la ferme France se dégrade régulièrement depuis dix ans, ce sujet de l’installation et de la transmission sera au cœur de la loi d’orientation agricole, attendue l’été prochain. Son champ sera néanmoins plus vaste que le rapport qui ne traite que des aides et de l’efficacité des politiques de transmission. La pénibilité du métier dans certaines filières, la question de la rémunération ou les considérations autour du bien-être animal ont aussi pesé sur l’attractivité de ce métier ces dernières années. Se posera aussi la question des revenus annexes (production d’électricité, tourisme rural…), qui pour certains observateurs, entrent en concurrence avec l’activité de production agricole pure. Ces thèmes, traités dans la future loi, ont été remis sur le devant de la scène depuis trois ans, alors que la crise du Covid et la guerre en Ukraine ont montré l’importance de la souveraineté alimentaire. Et que les récents débats sur l’interdiction des produits de synthèse (néonicotinoïdes, phosphine…) incitent les néopaysans à repenser en profondeur leur projet agricole, qu’il soit celui de toute une vie ou non.