C’est une maladie qu’on pourrait croire disparue, et pourtant : l’année 2022 s’est distinguée par une vague sans précédent de cas importés de diphtérie, en France mais aussi dans plusieurs pays d’Europe. La diphtérie due à la bactérie Corynebacterium diphtheriae est une maladie hautement contagieuse qui se transmet d’homme à homme, par la salive, les plaies cutanées et bien plus rarement par le biais d’objets souillés par les sécrétions des malades. Principale manifestation : une angine qui peut se compliquer d’atteintes cardiaques ou neurologiques et entraîner le décès.

Il existe un vaccin contre la diphtérie depuis près d’un siècle, et la population française est très largement couverte grâce à la vaccination obligatoire. Toutefois, une poignée de cas sont recensés chaque année, importés par des voyageurs ou des migrants. Mais ceux-ci restent d’ordinaire très limités.

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Pourtant, en 2022 la France à elle seule a enregistré 30 cas, d’autres pays encore davantage : 118 en Allemagne, 69 en Autriche, 52 en Suisse, recense une communication dévoilée lors du Congrès européen de microbiologie clinique et des maladies infectieuses. « C’est une situation assez exceptionnelle, toutefois on ne peut pas parler d’épidémie européenne, car il n’y a pas eu de transmissions à la population générale: ces cas restent circonscrits à des personnes arrivant de l’étranger, en situation de vulnérabilité, souvent demandeuses d’asile », souligne le Dr Sylvain Brisse, directeur du centre national de référence de la diphtérie et directeur de recherche à l’institut Pasteur, qui a conduit l’analyse génomique des souches de la bactérie.

Les causes de cette vague subite (mais désormais terminée en France) ne sont pas vraiment connues mais les experts supposent que le phénomène est lié à une mauvaise couverture vaccinale dans les pays dont sont originaire les malades (des hommes d’une vingtaine d’années pour la plupart) : essentiellement l’Afghanistan et la Syrie, déstabilisés par des années de conflits. « Le vaccin protège contre la maladie mais pas contre le portage asymptomatique de la bactérie : celle-ci continue donc à circuler. Et quand la couverture vaccinale de la population recule, on assiste à des réémergences de cas », explique le Dr Brisse.

Les formes de diphtéries observées étaient majoritairement cutanées (donc peu graves), « sans doute liées à un défaut d’hygiène et à la promiscuité », poursuit l’expert. Les malades se sont vraisemblablement contaminés sur les routes migratoires ou juste avant de partir. L’étude génomique conduite par le Dr Brisse a mis en lumière 4 souches différentes, « ce qui laisse penser qu’il y a eu 4 chaînes de transmission ». Il a aussi été observé que quelques souches minoritaires étaient résistantes aux macrolides. « C’est un problème, car ces antibiotiques sont utilisés chez les patients allergiques à l’amoxicilline ou à la pénicilline. »

« Le message à retenir de tout cela, c’est que ces maladies qu’on ne connaît plus chez nous peuvent revenir à la faveur de déséquilibres géopolitiques, car elles ne sont pas contrôlées dans les pays du Sud, rappelle Sylvain Brisse. N’oublions jamais que les microbes ne connaissent pas de frontières : il est donc essentiel de maintenir une bonne couverture vaccinale sur notre territoire. Celle-ci est particulièrement efficace en France car nos recommandations prévoient des rappels chez l’adulte à 25, 45 et 65 ans, puis tous les 10 ans, ce qui n’est pas le cas de tous les pays. » En Autriche par exemple, une étude menée sur 16.000 volontaires en 2021 et 2022 et présenté à ce même congrès de microbiologie a montré qu’un tiers de la population était insuffisamment immunisé contre la diphtérie. Les auteurs appellent à intensifier la campagne de rappels chez les plus âgés.