Censurera… Censurera pas? Au lendemain d’une douzième journée de mobilisation, le Conseil constitutionnel doit décider du destin de la réforme des retraites. Depuis quinze jours, les neuf Sages se penchent et échangent sur ce dossier épineux, alimenté notamment par les auditions d’élus d’opposition. Ce vendredi, ils se réunissent en plénière pour débattre de la conformité du projet de loi à la Constitution.

Une décision très scrutée qui, de toute évidence, «ne satisfera personne», analyse le professeur associé de droit Jean-Pierre Camby. «Le Conseil constitutionnel n’a jamais été confronté à de telles batailles», souligne-t-il, alors que des opposants manifestaient, jeudi, devant l’institution de la rue de Montpensier. Le verdict est attendu en fin de journée.

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Parmi les scénarios envisagés, celui d’une censure partielle du projet de loi semble le plus «probable», selon les constitutionnalistes. «Si l’on en croit la jurisprudence du juge, il a toujours choisi la voie médiane», estime Anne-Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public. Le Conseil constitutionnel pourrait ainsi choisir de préserver le noyau dur de la réforme – le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans -, mais d’invalider des mesures annexes. Ce pourrait être le cas de l’index senior, qui doit contraindre les grandes entreprises à déclarer les salariés de plus de 55 ans. La disposition – qui ne présente pas d’aspect financier – pourrait constituer un «cavalier législatif», c’est-à- dire une mesure n’ayant aucun rapport avec le reste du texte de loi. L’expérimentation d’un nouveau CDI en fin de carrière pourrait aussi passer à la trappe pour cette même raison. Dans ce cas, ces articles ne figureraient donc pas dans le texte, qui doit entrer en vigueur à partir du 1er septembre 2023.

L’hypothèse d’une censure totale paraît en revanche «très improbable», selon Jean-Pierre Camby. Pour les oppositions, le choix d’inscrire le projet de réforme dans une loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFRSS) aurait pourtant détourné l’esprit de la Constitution. Un argument «partiellement inexact» pour Anne-Charlène Bezzina: «Il y a au moins certains aspects de cette loi qui vont changer l’équilibre financier de cette année.» Autre grief sur lequel la haute juridiction devra se pencher: le manque de «clarté et de sincérité des débats». Pour les auteurs des saisines, l’accumulation des outils constitutionnels – vote bloqué, procédure accélérée, article 49.3 – a entaché cette exigence constitutionnelle. «Les Sages n’ont jamais censuré le moindre article de la moindre loi sur cette question», évacue Anne-Charlène Bezzina. Reste l’option rêvée pour l’exécutif d’une validation totale de la réforme.

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Mais le Conseil constitutionnel pourrait aussi donner son feu vert à la demande de référendum d’initiative partagée (RIP). L’opposition réclame une consultation nationale pour acter «l’impossibilité d’un report de l’âge légal au-delà de 62 ans». Problème, formulée comme telle, la proposition de loi est «une injonction faite au législateur, ce qui est contraire à notre tradition constitutionnelle», pointe Anne-Charlène Bezzina. Avec un seul précédent (le RIP sur les aéroports de Paris), l’interprétation des juges reste néanmoins «ouverte», selon Jean-Pierre Camby. Même en cas de fumée blanche, la route est encore longue.

Les opposants devront réunir sous neuf mois 4,8 millions de signatures, soit un dixième du corps électoral. Si le Parlement n’examine pas le texte dans les six mois suivants, il reviendrait au chef de l’État de convoquer un référendum. La procédure ne s’achèverait alors qu’à l’été 2024.