Au Texas, ce sont les juges désormais, et pas les médecins, qui décident de la santé d’une femme enceinte. Kate Cox, 31 ans, a déposé la semaine dernière un recours en justice pour obtenir la permission d’avorter. Elle est à 20 semaines de grossesse et vient d’apprendre que le bébé est affecté de Trisomie 18, une anomalie fatale la plupart du temps pour le foetus et qui peut provoquer des complications dangereuses chez la mère. Or le Texas, depuis la suppression l’an dernier par la Cour suprême des États-Unis du droit fédéral à l’avortement, a mis en place des lois parmi les plus draconiennes du pays. Elles interdisent l’IVG après six semaines, même en cas de viol ou d’inceste. La seule exception, c’est en cas de danger pour la vie de la mère. Mais la loi reste vague et ne précise pas le type de situations médicales, ce qui met les médecins dans une position intenable. Pour éviter des poursuites et la prison à vie, ils évitent maintenant de pratiquer la procédure.
C’est la première fois depuis l’arrêt de la Cour suprême qu’une femme dépose un tel recours auprès d’un tribunal. La juge, Maya Guerra Gamble, a statué la semaine dernière en faveur de Kate Cox, estimant que garder l’enfant pouvait porter atteinte à sa santé. Sa décision permet donc légalement une IVG et protège la mère, le mari et son médecin de toutes actions en justice. Selon l’avocate de la jeune femme, ses médecins disent qu’il n’y a “virtuellement aucune chance” que le bébé survive et que mener à terme sa grossesse et accoucher par césarienne est non seulement dangereux mais risque de provoquer une infertilité. Kate Cox s’est déjà rendue quatre fois aux urgences ces dernières semaines suite à des douleurs sévères et d’autres complications.
Ken Paxton, le procureur général de l’État, un conservateur très controversé qui a survécu à une procédure d’impeachment pour corruption de la part de son propre Parti, est aussitôt monté au créneau. Il a saisi la Cour suprême de l’État affirmant que cette décision “ouvre les vannes” à toutes sortes d’abus. Selon lui, Kate Cox n’a pas de raison de bénéficier d’une exception à la loi car sa grossesse ne met pas en péril sa santé. La Cour suprême a donc bloqué la décision de la juge en attendant de rendre son verdict à une date non précisée. “Une femme au Texas vient juste d’être forcée de supplier le tribunal pour obtenir une procédure destinée à sauver son existence. Et maintenant tout docteur qui va réaliser cette procédure dont elle a besoin urgemment est menacé de représailles”, s’est insurgée Veronica Escobar, une élue démocrate du Texas.
En attendant Kate Cox, une mère de deux enfants, se retrouve coincée. “C’est atroce” a-t-elle avoué dans une interview. “Soit [ma petite fille] meurt dans mon ventre, soit je vais devoir accoucher d’une enfant mort-née. Ou si elle arrive dans ce monde, sa vie va être mesurée en minutes, en heures ou en jours et tourmentée par des appareils médicaux”.
Ken Paxton est allé encore plus loin. Il a envoyé une lettre à trois hôpitaux de la région les menaçant de poursuites judiciaires s’ils pratiquaient l’avortement. “Paxton travaille dur à effrayer les médecins et les empêcher de pratiquer une IVG pour éviter que ça ne devienne une nouvelle stratégie” a résumé sur X, Mary Ziegler, une professeur de Droit à l’Université de Californie spécialisée sur cette question.
À lire aussiAvortement : un an après l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade, les États-Unis divisés
Quant à Kate Cox, après une semaine de bataille judiciaire, elle ne pouvait plus attendre. Elle vient de partir d’urgence dans un autre État pour faire une intervention volontaire de grossesse. «Alors que Kate a eu la possibilité de quitter l’État, la plupart des femmes ne l’ont pas et une situation pareille peut devenir une condamnation à mort», a déclaré Nancy Northrup présidente du Center for Reproductive Rights qui l’a défendue.
L’affaire de Cox pourrait faire jurisprudence au Texas et ailleurs. Une autre femme enceinte vient de lancer une action en justice similaire dans le Kentucky. Parallèlement, la Cour suprême du Texas examine un autre procès intenté par 20 femmes au Texas qui, faute d’avoir pu obtenir une IVG thérapeutique, demandent qu’on clarifie la loi sur les cas exceptions.
La situation de Kate Cox risque d’avoir aussi des répercussions politiques. L’opinion publique américaine, a montré ces derniers mois son hostilité à l’interdiction de l’interruption volontaire de grossesse. Les électeurs ont voté à plusieurs reprises contre des candidats républicains anti IVG. Dans l’Ohio, ils ont approuvé un référendum qui inscrit la protection de l’avortement dans la constitution de l’État. Le Texas reste très conservateur mais le sénateur républicain Ted Cruz doit faire face l’année prochaine à une campagne de réélection difficile. De quoi donner un peu d’espoir aux démocrates.