Correspondant à Washington

Zelensky est de retour à Washington pour convaincre le Congrès de ne pas abandonner l’Ukraine. La troisième visite du président ukrainien est aussi la plus désespérée. L’aide américaine, cruciale pour la défense de l’Ukraine face à la Russie, est suspendue à un vote du Congrès, jusqu’à présent bloqué par une partie des élus républicains.

La Maison-Blanche a appelé la semaine dernière les deux chambres à voter une rallonge budgétaire d’urgence, prévenant que l’aide militaire à l’Ukraine risquait de s’arrêter faute de financement. «Sans une action du Congrès, d’ici la fin de l’année, nous serons à court de ressources pour acheter davantage d’armes et d’équipements pour l’Ukraine et pour fournir des équipements provenant des stocks de l’armée américaine, a prévenu la directrice du budget. Nous n’avons plus d’argent – et presque plus de temps.» Mais le soutien américain à l’Ukraine est devenu un enjeu partisan entre républicains et démocrates. Même si une majorité des élus républicains demeure favorable à l’aide militaire à l’Ukraine, une aile du parti, alignée sur l’isolationnisme de Donald Trump, s’y oppose désormais ouvertement. Les deux courants se rejoignent pour tenter d’obtenir de la part de Biden et des démocrates des mesures de contrôle accrues de l’immigration le long de la frontière mexicaine.

Zelensky avait été accueilli en héros lors de sa première visite à Washington, en décembre 2022, après que son pays avait résisté à l’invasion russe. Il avait été acclamé par le Congrès réuni, et peu de voix discordantes s’élevaient alors. Pour sa deuxième visite, en septembre dernier, le climat politique avait commencé à changer. Le président républicain de la Chambre en poste à l’époque, Kevin McCarthy, avait rencontré Zelensky, mais en évitant de se faire photographier à ses côtés, conscient de l’opposition croissante d’une partie des élus républicains à la poursuite de l’aide à l’Ukraine. McCarthy avait été démis de ses fonctions par un vote de défiance quelques semaines plus tard.

La troisième visite de Zelensky se déroule alors que le financement de l’aide militaire est bloqué par l’opposition républicaine. La Maison-Blanche demande au Congrès le vote d’un supplément de 110 milliards de dollars pour la sécurité nationale, qui comprend environ 61 milliards pour l’Ukraine, mais aussi des fonds destinés à Israël et à Taïwan, de l’aide humanitaire pour Gaza, et le financement de mesures destinées à renforcer le contrôle de la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Mais les républicains exigent plus. Ils réclament en échange de leur vote des changements radicaux de la politique d’immigration, et notamment un durcissement des procédures d’asile politique, actuellement exploitées par les filières d’immigration clandestine pour entrer massivement sur le territoire américain. Biden a déclaré qu’il était prêt à discuter de ce sujet, mais il risque de s’aliéner une partie des démocrates s’il fait de trop grandes concessions.

Zelensky et la cause ukrainienne continuent de bénéficier de soutiens à Washington. D’abord celui de Biden, que le président ukrainien doit rencontrer mardi à la Maison-Blanche. Même si le président américain a pu parfois, selon les médias américains, être agacé par son homologue ukrainien, réclamant de nouveaux matériels militaires sans toujours exprimer sa reconnaissance pour ceux déjà fournis, Biden reste le meilleur allié de Zelensky. Le président américain a mis en garde les républicains du Congrès contre les conséquences de leurs jeux politiques sur la sécurité. «Il est stupéfiant que nous en soyons arrivés là», a déclaré Biden, les accusant d’être «prêts à faire à Poutine le plus beau cadeau qu’il puisse espérer et à abandonner notre position mondiale, non seulement en Ukraine, mais ailleurs».«Les républicains extrémistes jouent avec notre sécurité nationale, en prenant le financement de l’Ukraine en otage de leurs politiques partisanes à la frontière», a aussi averti Biden, «l’histoire jugera sévèrement ceux qui tournent le dos à la cause de la liberté».

Le Sénat demeure en majorité acquis au soutien à l’Ukraine, même si les dissensions sont désormais plus vives. Le président ukrainien doit prendre la parole devant les sénateurs, à l’invitation conjointe du chef de la majorité démocrate, Chuck Schumer, et du chef de file des républicains, Mitch McConnell. Mais une partie des sénateurs républicains n’est plus sur la même ligne. La semaine dernière, un briefing du renseignement américain devant la Chambre haute a tourné à l’échange d’invectives entre les sénateurs, et plusieurs élus républicains ont quitté la salle. Le sénateur J.D. Vance, devenu l’une des voix de ce courant isolationniste au Sénat, a critiqué la visite du président ukrainien, reprenant le principal argument des critiques de l’aide à l’Ukraine, qui se ferait selon eux au détriment de la sécurité du territoire des États-Unis: «Au milieu d’une crise frontalière historique, Zelensky vient à Washington demander au Congrès de se préoccuper davantage de sa frontière que de la nôtre.»

Mais le principal obstacle au financement de l’Ukraine vient de la Chambre des représentants, contrôlée à une courte majorité par les républicains, et où l’opposition à l’aide ukrainienne est la plus forte. Le nouveau président de la Chambre, Mike Johnson, s’est récemment rallié au soutien à l’Ukraine, après avoir voté contre à deux reprises. Mais il sait qu’il ne peut se permettre de s’aliéner une partie non négligeable de sa majorité, de moins en moins encline à aider l’Ukraine, soit par opposition pure et simple à l’aide à ce pays, soit par refus d’offrir une victoire politique à Joe Biden et aux démocrates. «L’Amérique a envoyé suffisamment d’argent à l’Ukraine. Nous devrions dire à Zelensky de chercher à négocier la paix», a écrit dimanche Matt Gaetz, le représentant républicain de Floride, l’un des opposants à l’assistance à l’Ukraine, et le principal artisan de la chute du précédent président de la Chambre, Kevin McCarthy.

La session annuelle du Congrès doit s’achever à la fin de la semaine. À moins d’une surprise, le vote de l’aide militaire d’urgence proposé par Biden apparaît comme peu probable. Selon la chaîne CNN, l’Administration Biden ne dispose plus que d’environ 2 milliards de dollars pour aider l’Ukraine, qui dépend des États-Unis pour la moitié de son aide militaire. L’aide américaine est en particulier cruciale pour les munitions d’artillerie, dont les stocks dont dangereusement bas.