Le Parlement européen et les États membres de l’UE se sont accordés mercredi sur une législation pour renforcer les droits de millions de travailleurs des plateformes numériques comme Uber ou Deliveroo. Ce texte prévoit de requalifier comme salariés de nombreuses personnes aujourd’hui considérées comme des indépendants afin de renforcer notamment leur protection sociale. Alors que les réglementations sur les plateformes sont aujourd’hui très disparates parmi les Vingt-Sept, la nouvelle législation entend fixer des règles identiques à l’échelle de l’UE pour déterminer si les livreurs de repas ou les chauffeurs de VTC travaillant pour les grandes plateformes numériques doivent être considérés comme des salariés.

L’UE estime à «au moins 5,5 millions», sur un total de près de 30 millions, le nombre de travailleurs des plateformes aujourd’hui considérés à tort comme indépendants. «Les chauffeurs et les livreurs vont obtenir les droits sociaux auxquels ils ont droit» tandis que «les plateformes bénéficieront d’une sécurité juridique», s’est félicité le commissaire européen Nicolas Schmit, à l’origine du projet de réglementation présenté en décembre 2021. Depuis, le texte était négocié par les colégislateurs qui ont annoncé un accord politique mercredi. Il devra encore être formellement approuvé par les eurodéputés en séance plénière et par le Conseil de l’UE qui représentent les Etats membres.

À lire aussiTravailleurs des plateformes: l’U2P favorable à la présomption de salariat

«Il s’agit d’un accord révolutionnaire et du premier cadre législatif pour les travailleurs des plateformes numériques», s’est réjouie l’eurodéputée sociale-démocrate italienne Elisabetta Gualmini, rapporteuse du texte. Afin d’harmoniser le statut des travailleurs des plateformes, la nouvelle législation établit cinq critères: le fait qu’une plateforme fixe les niveaux de rémunération, supervise à distance les prestations, ne permet pas à ses employés de choisir leurs horaires ou de refuser des missions, impose le port d’uniforme, ou encore interdit de travailler pour d’autres entreprises. Si au moins deux critères sont remplis, la plateforme serait «présumée» employeur, et devrait se soumettre aux obligations du droit du travail (salaire minimum, temps de travail, indemnités maladie, normes de sécurité…) imposées par la législation du pays concerné.

Les États membres auront la possibilité d’élargir cette liste de critères. La présomption de salariat pourra être déclenchée par le travailleur, par ses représentants et par les autorités compétentes de leur propre initiative. En cas de contestation par la plateforme, c’est elle qui devra fournir les preuves que le statut d’indépendant est justifié afin de renverser la décision. Les entreprises du secteur affirment que les travailleurs sont majoritairement en faveur du statut d’indépendants. Elles ont exprimé leur inquiétude face aux coûts supplémentaires qu’elles devront supporter, affirmant redouter des conséquences négatives pour l’emploi. «Nous restons engagés en Europe et nous continuerons à plaider pour un modèle qui donne aux travailleurs des plateformes ce qu’ils disent vouloir: l’indépendance, des avantages et la flexibilité», a réagi mercredi un porte-parole du géant américain Uber. Il a dit espérer que le texte apporte de la «clarté juridique».

Ces entreprises, qui gèrent des applications de mise en relation entre clients et prestataires de services, ont été confrontées à de nombreux procès en Europe et dans le monde portant essentiellement sur la couverture sociale de leurs travailleurs. Ces derniers se sont aussi mobilisés pour de meilleures rémunérations et conditions de travail. Le texte approuvé mercredi prévoit par ailleurs d’imposer une transparence accrue sur le fonctionnement des algorithmes des applications, en informant les travailleurs sur la façon dont ils sont supervisés et évalués (distribution des missions, attribution de primes…). Il sera par ailleurs interdit de prendre certaines décisions importantes, telles que les licenciements et les suspensions de compte, sans contrôle humain. Les plateformes seront aussi tenues d’évaluer l’impact des décisions prises par des systèmes automatisés sur les conditions de travail, la santé et les droits fondamentaux. Le traitement de certaines données personnelles sera interdit, en particulier concernant les croyances ou les échanges privés avec des collègues. Les plateformes auront obligation de transmettre des informations sur les travailleurs indépendants qu’elles emploient aux autorités nationales compétentes et aux syndicats représentant ces personnes.