Correspondant à Washington

Janet Yellen est partie présenter directement à Pékin le nouveau message de l’Administration Biden adressé à la Chine. La visite de quatre jours dans la capitale chinoise de la secrétaire au Trésor fait suite à celle d’Antony Blinken, chef de la diplomatie américaine, le mois dernier. Le déplacement de Janet Yellen est présenté avant tout comme une mission d’éclaircissement de la posture de Washington à l’égard de la première puissance asiatique. Le fait que Joe Biden ait traité le président Xi de «dictateur», alors qu’Antony Blinken rentrait tout juste de Pékin où il avait pu rencontrer le président chinois, ne facilite pas la tâche de l’économiste de bientôt 77 ans.

Janet Yellen ne se rend pas à Pékin pour négocier des solutions aux nombreux contentieux qui opposent son pays à la Chine. Les multiples sanctions commerciales imposées sous Donald Trump, censées forcer la Chine à modifier ses pratiques jugées déloyales par la plupart des élus américains, sont toujours en place. Pire, leur liste s’allonge continuellement pour englober désormais des interdictions croissantes d’achats de technologie et d’équipements américains et bientôt de nouvelles restrictions affectant les investissements industriels américains en Chine. Cela étant, malgré les tensions, l’interdépendance entre les deux plus grandes économies du monde reste très forte. L’an dernier, leurs échanges commerciaux ont battu un nouveau record à plus de 690 milliards de dollars. Premier fournisseur des États-Unis, la Chine affiche un large excédent commercial.

La Maison-Blanche semble surprise que ses relations avec Pékin soient devenues exécrables. Le nouveau mot qui obsède l’Administration Biden est devenu «communication». Tant du point de vue militaire que diplomatique ou commercial, Washington espère rétablir des modes directs de dialogue, pour éviter à tout prix les malentendus qui pourraient déboucher sur des crises incontrôlables. «À défaut de résoudre nos nombreux différends, au moins acceptons d’en parler souvent et calmement», souhaite en substance l’Administration Biden.

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La méfiance de Pékin à l’égard de l’agitation américaine pour «gérer de manière responsable, communiquer directement à propos des domaines de préoccupation, et travailler ensemble pour traiter des défis mondiaux» – comme le proclame le département du Trésor – est compréhensible. Depuis quelques mois cependant, les fins de non-recevoir du régime communiste à l’égard des tentatives de dialogue initiées par Washington, sont devenues plus inconfortables: l’économie chinoise sort bien moins que prévu de longs mois de confinements. La croissance faiblit ; l’investissement étranger si important à son développement passé se tarit. Un dégel du dialogue sino-américain servirait les intérêts chinois.

La montée en Amérique, mais aussi en Europe, d’un mouvement de découplage économique à l’égard de la Chine, visant à réduire la dépendance à l’égard des usines et du marché chinois, et permettant à terme de diversifier les chaînes de production au profit de pays comme le Vietnam ou l’Inde, commence à peser. Conscients de cette possibilité d’ouverture, Joe Biden et son cabinet ont conçu un nouveau message à destination de la Chine. Le vieux message était résumé en trois mots: «Investir, aligner et faire concurrence». Il est abandonné depuis avril au profit d’une nouvelle formule articulée par Jake Sullivan, conseiller de Joe Biden pour les affaires de sécurité: «un petit jardin, une barrière haute».

La vieille formule encourageait l’investissement aux États-Unis pour contrer la poussée des industries exportatrices chinoises. Il prônait ensuite un alignement de la stratégie américaine avec les alliés des États-Unis pour gérer l’expansionnisme chinois. Enfin il consacrait la saine concurrence économique et commerciale, comme moyen de surmonter les frictions. Comme l’explique Yeling Tan, du Peterson Institute for International Economics à Washington, cette approche ne plaisait guère à Pékin: «Le problème avec cette formulation était que le premier élément de la stratégie était centré sur les questions intérieures des États-Unis, le second sur les relations américaines avec les autres pays, ce qui laissait “faire concurrence” comme seul descripteur de la relation souhaitée avec la Chine.»

Pékin jugeait, non sans raison, que l’objectif unique de la politique américaine à l’égard de la Chine était en fait de «découpler et couper les chaînes d’approvisionnement partant de Chine… tout en prétextant des impératifs de sécurité nationale pour éliminer des sociétés chinoises de manière injustifiées», pour reprendre les mots des porte-parole chinois. Janet Yellen espère convaincre que les États-Unis ne cherchent pas à casser le développement de la Chine.

Elle abandonne donc le mot de «découplage» pour le remplacer par celui de «réduction de risque» («derisking»). La nuance est que l’idée n’est pas de se couper de la Chine, mais simplement de diversifier l’approvisionnement des industries et des consommateurs américains. La «haute barrière» évoquée par Jake Sullivan est celle de technologies avancées, aux usages militaires évidents, comme l’intelligence artificielle, où l’Amérique dispose encore d’une réelle avance, et qu’il faut absolument préserver. Le «petit jardin» est censé décrire un périmètre plus restreint de secteurs stratégiques à protéger.

Pour le moment, Pékin n’y croit guère. Le maintien par Joe Biden de surtaxes de 7,5 % à 25 % imposées par Donald Trump sur plus de 360 milliards de dollars d’importations chinoises, allant de machines à laver aux panneaux solaires, en passant par les équipements informatiques et l’ameublement, contredit la définition du «petit jardin».

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Janet Yellen, en économiste chevronnée, a certes souvent émis des réserves sur l’efficacité du protectionnisme pratiqué par Donald Trump au nom de la souveraineté industrielle. Mais elle restera fidèle à la ligne fixée par le président Biden. Ce dernier, en campagne pour sa réélection, ne veut surtout pas paraître accommodant et faire des concessions à Pékin. D’autant que le consensus antichinois au Congrès est largement bipartite. Il faudra beaucoup de talent à la secrétaire au Trésor pour convaincre ses interlocuteurs que la politique américaine à l’égard de la Chine a vraiment changé.