Ostéopathie, chiropraxie, hypnose, mésothérapie, auriculothérapie, acupuncture, jeûne, crudivorisme, médecine anthroposophique, homéopathie… Les pratiques de soins non conventionnelles, ou «médecines douces», font l’objet d’un âpre débat. Depuis juin dernier, un comité mis en place par le gouvernement réunit opposants et partisans de ces pratiques. Au centre du débat: la question de l’encadrement de ces pratiques, et la place que devrait leur faire le monde de la santé. Doivent-elles y être intégrées, ou en être exclues?
«Le Figaro» publie deux tribunes répondant à cette question. Du côté des «contre», le collectif de soignants No FakeMed (né de la «tribune des 124» publiée en mars 2018 dans nos colonnes demandant le déremboursement de l’homéopathie), plusieurs ordres de professionnels de santé, des associations de soutien aux victimes de dérives sectaires et de nombreux chercheurs et professeurs de médecine. Du côté des «pour», quatre professeurs de médecine membres du CUMIC (Collège universitaire de médecines intégratives et complémentaires), qui regroupe des universitaires et responsables d’enseignement de plusieurs disciplines concernées par cette thématique. La liste complète des signataires des deux textes est indiquée à la fin de l’article.
«On les appelle médecines douces, complémentaires, parallèles, alternatives, et autres fantaisies. Les autorités préfèrent dire « pratiques de soins non conventionnelles » (PSNC), ou « pratiques non conventionnelles en santé » (PNCS). Mais au-delà d’une simple querelle de clocher, tout un principe de santé découle de ce choix lexical : il est question de savoir quelle qualité de médecine nous voulons, et si nous acceptons de cautionner des techniques illusoires ayant leur popularité pour principal argument. Émerge alors la question de la réglementation des pratiques. D’aucuns veulent les faire entrer au forceps dans le système de soins, les hôpitaux, les centres et maisons de santé. Et ils sont prêts à tous les artifices oratoires, les caricatures, pour légitimer des pratiques discutables.
«Les pratiques de soins non conventionnelles ont le vent en poupe, et le nombre de praticiens et de pratiques augmente sans cesse depuis les années 2000 ; on dénombre aujourd’hui environ 400 PSNC à visée thérapeutique. Mais leur succès est souvent lié à une méconnaissance de la philosophie qui les sous-tend, et de leur absence d’efficacité au-delà d’un effet contextuel ; on a pu le voir lors du débat autour de l’homéopathie, qui a perdu une grande part de la confiance placée en elle dès qu’elle a été confrontée au travail de vulgarisation mené auprès du grand public. Le respect des patients impose de leur fournir des informations fiables afin de leur permettre un choix libre et éclairé.
«Se pose donc la question de la place qu’il convient ou non de faire aux PSNC au sein du système de soins. Si les dénominations sont nombreuses, ce sont toutes des pratiques se targuant de relever du soin et non du bien-être, sans pourtant avoir apporté la preuve de leur efficacité, et s’appuyant sur des théories non étayées par les connaissances acquises de la science. Certes, celles-ci évoluent, et une pratique peut montrer son utilité en santé ; ainsi de l’hypnose, dont l’intérêt en tant qu’outil dans certaines situations n’est plus discuté depuis qu’elle s’est mise en capacité de mesurer et expliquer son apport comme ses limites.
«Pas question pour autant de légitimer tout un panel de PSNC, même sous prétexte de leur prétendue innocuité. Beaucoup d’entre elles, directement ou parce qu’elles conduisent à un défaut de soin, présentent des effets indésirables, parfois graves. Ces effets existent aussi avec les traitements conventionnels, mais les risques doivent toujours être appréciés au regard des bénéfices attendus. Ceux liés aux PSNC sont donc inadmissibles au vu de l’inutilité de ces dernières.
«Par ailleurs, les dérives autour des PSNC existent, même si (heureusement !) elles ne sont pas majoritaires. Détournement des soins, escroquerie, emprise mentale, sectarisme… Les dérives sectaires ne sont pas systématiquement liées aux PSNC, mais là encore le risque est inacceptable. La Miviludes indique, dans son rapport d’activité 2021, que 25 % des saisines concernent le domaine de la santé, et que 70 % d’entre elles ont trait à des pratiques de soins non conventionnelles. Le nombre de saisines liées à la santé est passé de 365 en 2010 à 842 en 2015, puis plus de 1000 en 2021.
«La médecine n’est bien entendu pas à l’abri de ces dérives, et la Miviludes estime à 3 000 le nombre de médecins en lien avec une dérive sectaire. Mais les Ordres des professionnels de santé ont su prendre le problème à bras-le-corps, mettant en place notamment un partenariat avec la Miviludes et de multiples garde-fous (vérification des diplômes et autorisation d’exercer, obligation de formation continue, codes de déontologie et de santé publique, justice ordinale, déclaration des liens d’intérêt…). Les Ordres ont sensibilisé aux violences sexuelles et sexistes, les universités forment à la lecture critique d’articles scientifiques, des initiatives associatives fleurissent pour améliorer l’information du public.
«Les choix de nos patients seront toujours respectés, et chacun a recours aux pratiques de bien-être de son choix. Mais les malades ont le droit, quand ils se tournent vers un professionnel de santé, un hôpital, un lieu de soins, de savoir qu’ils seront pris en charge par des professionnels de santé, proposant des soins consciencieux, dévoués, et fondés sur les données acquises de la science.
«Face aux défis actuels du système de santé, la réponse ne doit pas être de proposer plus de pseudo-médecines sous prétexte que les personnes en font déjà usage. La véritable réponse est de se fier à ce qui a fait ses preuves, de donner des moyens à la recherche, de poursuivre les évaluations, de s’appuyer sur le travail social, de ne pas délaisser la santé mentale, d’améliorer la prévention, et de tenir à distance les groupes de pression, qu’ils émanent des firmes pharmaceutiques ou des promoteurs de pratiques ésotériques, coûteuses et parfois dangereuses.»
«Les pratiques de soins dites non conventionnelles, ou PSNC (ostéopathie, naturopathie, acupuncture, homéopathie, hypnose, selon le Ministère de la Santé) inquiètent les autorités sanitaires et la Miviludes, qui ont mis en place en juin 2023 un comité d’appui à l’encadrement des PSNC, chargé d’éclairer usagers, patients et professionnels sur leurs bénéfices et risques, en ville et à l’hôpital. Différents rapports, sondages et articles de presse ont alors souligné les risques liés aux PSNC, sans pointer leurs bénéfices potentiels dans de nombreuses indications, dès lors qu’elles sont bien encadrées. On s’est affolé d’un recours « en plein essor » à ces pratiques, de « l’explosion » des dérives, de « l’effet boost » de la pandémie.
«Or, quelle est la réalité des chiffres ? En dehors de l’ostéopathie, nous manquons de données fiables en France pour affirmer une augmentation forte d’un recours à ces pratiques. En Suisse, où l’on a choisi de les intégrer dans les hôpitaux universitaires et de réglementer le statut des praticiens non professionnels de santé, l’utilisation des PSNC a très légèrement augmenté. Concernant les dérives sectaires liées à la santé, les saisines de la Miviludes sont stables depuis 2017 (environ 1000 par an), mais il faut préciser qu’elles sont un mauvais indicateur du « risque » lié aux PSNC (contrairement aux signalements). Le contraste éloquent entre données chiffrées et communication interpelle. Serions- nous face à une dérive de la communication sur les risques des thérapies « alternatives » ? Cette déformation de la réalité serait-elle nécessaire pour justifier d’altérer l’information éclairée et la liberté de choix thérapeutique des patients, qui sont des impératifs éthiques et démocratiques ?
«C’est l’usage inadéquat de certaines PSNC qui est à risque, plus que les PSNC elles-mêmes ! Les patients qui espèrent soigner leur cancer uniquement par de l’acupuncture et refusent les traitements anticancéreux en ont alors un usage alternatif, clairement dangereux. Mais l’acupuncture utilisée pour soulager les nausées dues à la chimiothérapie, en complément de cette dernière, est recommandée par l’Association française des soins de support. La presse fait grand bruit des dangers des usages alternatifs, mais ils sont rares : moins de 5 % des patients soignés pour cancer selon une étude européenne. Cela reste trop. Un encadrement permettrait de réduire encore ce risque.
«Parler d’usage à risques est donc plus pertinent que de lister des « thérapies illusoires », vaguement définies comme « non validées scientifiquement » et qui seraient par essence « à risque ». En outre, cela laisse croire que les traitements conventionnels seraient toujours validés et sans risque. C’est faux ! La iatrogénie médicamenteuse causerait en France plus de 200 000 hospitalisations et 10 000 décès par an. Oui, certaines automédications en phytothérapie ou aromathérapie comportent des risques… comme toute automédication par des médicaments conventionnels. Oui, l’acupuncture peut entraîner des lésions d’organes profonds, mais ces accidents concernent moins de 5 patients sur 100 000. Oui, les manipulations cervicales des ostéopathes peuvent provoquer des lésions graves voire mortelles, mais ces situations exceptionnelles sont le fait de praticiens qui ne respectent pas le décret encadrant leur pratique. Oui, des patients peuvent se faire escroquer par des charlatans, mais il existe aussi des dérives thérapeutiques et financières dans la médecine conventionnelle, par exemple celles rapportées dans des centres dentaires ou ophtalmologiques.
«Les patients sont-ils si naïfs ? Non. 56 % ont conscience que les remèdes «naturels» peuvent provoquer des effets secondaires nocifs et 70 % savent qu’il existe un risque de dérive sectaire ou d’emprise. Face à la forte demande des patients, nous pensons que la garantie d’un accès sécurisé à certaines PSNC est consubstantielle de leur encadrement, fondé sur une réglementation de la formation et du statut des praticiens non professionnels de santé, sur une communication transparente, sur une recherche adaptée, sur le développement de services hospitaliers et de réseaux ambulatoires de médecine dite « intégrative » articulant pratiques conventionnelles et PSNC, sur des parcours de soins structurés par des professionnels qualifiés, des indications précises et un contexte de prise en charge sécurisé. Cette démarche pragmatique de réduction des usages à risque a démontré son efficacité en addictologie. Elle devrait inspirer les décideurs pour l’usage des PSNC.»
*Signataires du texte «Contre»: «La réponse aux défis actuels n’est pas de proposer plus de pseudo-médecines»: Collectif NoFakeMed; Ordre national des masseurs-kinésithérapeutes (Cnomk) ; Ordre national des sages-femmes (Cnosf); Ordre national des infirmiers (ONI) ; Didier Pachoud, président du GEMPPI (Groupe d’étude des mouvements de pensée en vue de la protection de l’individu) ; Catherine Kartz, représentant l’UNADFI (Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes) ; Francis Auzeville, représentant le CCMM (Centre contre les manipulations mentales) ; Pr Edzard Ernst (Université d’Exeter ; Pr André Grimaldi (Pitié-Salpêtrière) ; Pr Jean-Francois Bergmann (Hôpital Lariboisière) ; Pr Jean Paul Vernant (Pitié-Salpêtrière) ; Pr Nicolas Pinsault (Université Grenoble Alpes) ; Pr Karine Lacombe (Sorbonne Université ) ; Pr Marc Braun (doyen de la faculté de médecine, maïeutique et métiers de la santé, Université de Lorraine, Nancy) ; Pr Dominique Le Guludec (Hôpital Bichat, ex-présidente de la Haute autorité de Santé ; Richard Monvoisin, enseignant et chercheur, didactique des sciences, (Université Grenoble-Alpes) ; Dr Nicolas Winter, urgences Pédiatriques du CHU de Lille ; Dr Matthieu Calafiore, médecin généraliste, maître de conférences des universités (Lille) ; Dr Julie Chastang, médecin généraliste, maîtresse de conférence des Universités (Sorbonne Université) ; Dr Vincent Jedat ; Dr Thomas Pipard ; Dr Stéphanie Marsan, médecin généraliste, maîtresse de conférence (Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines) ; Stéphanie de Vanssay enseignante et créatrice du site «Dérives Scolaires» ; Natalia Trouillier accompagnante de victimes de dérives sectaires ; Leo Druart, kinésithérapeute, enseignant à l’Université Grenoble-Alpes, vice-président du Cnmok ; Dr Vincent Jedat ; Dr Thomas Pipard ; Grégoire Perra, lanceur d’alerte sur l’anthroposophie ; collectif Chanology France ; Association Les Markabiens ; Kalou, créateur de contenus (informations et prévention sur les dangers du phénomène sectaire) ; Marie Cachera, docteur en écologie.
**Signataires du texte «Pour»: «L’accès sécurisé à certaines pratiques serait garanti par un encadrement»: Pr Fabrice Berna, psychiatre (Université de Strasbourg) ; Pr Laurence Verneuil, dermatologue (Université Paris-Cité) ; Pr François Paille, addictologue (Université de Lorraine) ; Pr Julien Nizard, enseignant de thérapeutique (Université de Nantes). Tous les signataires sont membres du bureau du CUMIC (Collège universitaire de médecines intégratives et complémentaires).