Avant d’être bousculée par l’apparition d’internet et par la révolution des réseaux sociaux, la télévision était l’écrin des principales joutes politiques. Théâtre de débats assassins ou de séquences devenues cultes, le petit écran a offert une multitude de moments forts sous la Ve République. Cet été, Le Figaro vous raconte les coulisses de ces rendez-vous.
«Je précise, Christine Angot, que vous avez adapté votre roman, Un amour impossible, au théâtre», lance David Pujadas. Ce 23 mars 2017, l’amour est bien impossible, et, sur le plateau de France 2, les acteurs se livrent à un vif échange. Les répliques fusent. L’un s’emporte, l’autre objecte. À un mois du premier tour de l’élection présidentielle, les Français assistent à un étrange spectacle et, surtout, à l’échec de la belle dialectique que l’on aurait pu espérer d’un échange entre l’écrivain, Christine Angot, et le politique, François Fillon.
Cela fait une heure que le candidat de la droite et du centre répond aux questions des journalistes. «Nous étions dans une phase particulière de la campagne où on était en mode survie», raconte l’un des membres de l’équipe de François Fillon, alors empêtré dans le «Penelope Gate» et l’affaire des costumes de luxe. «Nous avions placé beaucoup d’espoir en cette émission, raconte ce même proche. On savait qu’il y aurait de l’adversité et ça nous allait très bien. Tout ce qui accentuait le côté “Fillon contre tous” était bienvenu: contre la bien-pensance, contre les journalistes parisiens, contre le système… Et le face-à-face avec Angot illustrait tout ça.»
À lire aussiChristine Angot, une inflammable à l’Académie Goncourt
À l’écran, l’intéressée apparaît, puis échange une froide poignée de main avec François Fillon. «À partir de là, David Pujadas s’est mis en retrait pour les laisser tous les deux, raconte Didier Froehly, le réalisateur de “L’Émission politique”, le talk-show de l’époque. On ne maîtrisait plus rien.»
«Bon…, lance Angot, un sourire au coin des lèvres. Vous ne vous êtes pas retiré. Vous êtes là.» Son contradicteur se raidit. «Vous savez que si vous êtes élu, on aura un président en qui une large partie de la population n’aura pas confiance?», poursuit-elle. Pour l’instant, le calme règne encore. Un calme sournois, toutefois, car déjà l’orage gronde. «Vous voyez ce bracelet?, insiste Angot. Il m’a été offert il y a dix ans par quelqu’un qui se disait mon amie, mais qui voulait obtenir quelque chose de moi, me corrompre. J’ai accepté le bracelet et huit jours plus tard, elle me demande d’écrire quelque chose sur son dernier livre. J’ai refusé. Mais si j’avais accepté, j’aurais sûrement eu cinq ou six bracelets aujourd’hui à mon bras. Ce qui choque, c’est que vous vous soyez mis dans la situation (suivante): d’avoir des services à rendre.» Voilà la «séquence lancée, rapporte Didier Froehly. C’est un match de foot qui commence et nous, on suit le ballon.»
Le présentateur tente d’interrompre Christine Angot, et de passer la parole. «Peut-être la réponse de François Fillon?», hasarde-t-il. «Non», tranche Angot. Dans le public, quelques rires retentissent. «Pour que ce soit un dialogue?», insiste Pujadas. «Ce n’est pas un dialogue», rétorque la romancière. «C’est rarement un dialogue avec Mme Angot, c’est vrai», réplique à son tour le candidat LR. Avant d’ajouter: «De quel droit vous me condamnez? De quel droit vous estimez que l’emploi de mon épouse était illégal et indécent?
– Je ne vous condamne pas, je vous dis ce que je ressens. On est des millions à ressentir ça.
– Je ne suis pas coupable. Vous parliez de votre bracelet ; moi, j’ai rendu les costumes.» Les soutiens de Fillon applaudissent. «On n’est pas dans une arène!», met en garde Pujadas. Depuis un bar parisien où sont réunis les militants LR, Florence Coupry, alors en charge des relations avec la presse, témoigne: «C’était fou, comme moment, tellement violent… C’était presque trop et, du coup, presque un tournant!» Un autre membre de l’équipe de campagne renchérit: «On savait que la défaite était assurée, mais, là, il y avait tous les ingrédients nécessaires à un sursaut, même léger. Quand on est en campagne, le moindre signal de rebond est à prendre…» Didier Froehly rapporte: «En régie, personne n’y croyait. Fillon savait que ça filmait en permanence, il était hyper dans le contrôle, dans une stature de présidentiable. Il faisait super gaffe.»
Au bout de quasiment six minutes, Christine Angot, excédée, lâche: «Je vous traite de malhonnête. Et vous savez le pompon, dans toute cette histoire? C’est le coup de Bérégovoy que vous nous avez fait tout à l’heure.» Plus tôt dans l’émission, François Fillon avait dit comprendre le suicide de l’ancien premier ministre, également mis en cause. «Ça, (le coup de Bérégovoy), ça ne passe pas, monsieur. Est-ce que vous nous faites un chantage au suicide?» Dans le public, Valérie Boyer, alors porte-parole de la campagne et députée, a la mâchoire qui manque de se décrocher. «Vous ne pouvez pas comprendre que je puisse être blessé par des accusations mensongères?», riposte Fillon. «Oh, c’est triste! Vous me faites de la peine. Il est blessé?»
L’émission tourne vite court. «Merci d’être passée pour cette tentative de dialogue. Parfois, ça réussit, parfois ça s’emmanche moins bien», conclut, gêné, Pujadas. «Il arrivait que certains invités restent pour partager un verre après l’émission, se souvient Didier Froehly. Christine Angot, elle, est partie comme elle est venue.»